Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/843

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à l’État. C’étaient des tumeurs malignes dans un endroit trop essentiel à la vie, pour être coupées sans danger. On les coupa. La mort s’ensuivit : ou, pour parler sans figure, en exterminant ces favoris sans l’aveu du prince, on viola son autorité souveraine : et tout ce que gagnèrent les vainqueurs, fut de périr avec l’État, qu’ils se flattaient de sauver. Des sujets vraiment zélés et fidèles, ne doivent jamais en venir là. Teou vou et Ho tsin ayant échoué et perdu la vie, on plaignit leur malheur. Pour moi, j’en juge autrement. Ce fut un bonheur pour eux de succomber. En réussissant, ils se perdaient également, et nuisaient beaucoup plus à l’État. N’ai-je donc pas eu raison de dire que savoir redresser le prince, sans que la paix de l’État en souffre, c’est le chef-d’œuvre d’un zèle sage ?





Autre discours du même auteur.


Suivant ce que j’ai déjà exposé, quand des méchants qui sont en faveur se sont emparés de l’autorité, celui qui entreprend de les détruire, est sûr de périr si son dessein vient à échouer, ou bien s’il réussit, il fait périr le prince, et trouble l’État. À ce compte là, dira-t-on, ce désordre, quelque grand qu’il soit, est absolument sans remède. Il faut donc laisser ces méchants jouir en paix de leur malice, ne point penser à les éloigner ou à les détruire, et voir froidement le prince et l’État se perdre, de peur d’offenser l’un, et de troubler l’autre. C’est mal prendre ma pensée. Je l’explique. On dit communément qu’un homme en presse, est tout autrement habile, que quand il ne s’y trouve pas. C’est une maxime de guerre, qu’il ne faut pas tellement serrer un corps d’armée, qu’il n’ait aucune voie pour se débander et qu’il ne faut point que des troupes se hasardent à courir trop loin après des brigands. Cela est fondé sur ce qu’on craint que des gens réduits à l’extrémité ne fassent un dernier effort, et que leur désespoir ne l’emporte, ou que la perte ne soit égale. Ou[1] et Yué sur une barque en danger de périr par la tempête, s’aident mutuellement comme s’ils étaient bons amis. Ces indignes et méchants sujets, qui abusent de leur crédit et de leur faveur, savent assez qu’ils sont haïs et détestés. Ils sentent bien, que si le prince pouvait être informé de l’abus qu’ils font de l’autorité qu’il leur donne, il n’y aurait point de pardon pour eux. C’est ce qui les rend sans cesse attentifs à prévenir un coup si funeste.

D’un autre côté, les gens de mérite haïssant à mort ces indignes favoris, sous lesquels cependant il faut plier, se lient ensemble contre eux, s’animent secrètement les uns les autres, et s’irritent jusque à en venir à un éclat.

  1. Deux peuples toujours ennemis. Le sens du proverbe, est que dans ce danger commun les ennemis même s’entraident.