Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/857

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sous le même genre. De cette réponse suit encore l’éclaircissement de votre second embarras. Car quoiqu’il soit vrai en un sens, que cette joie est en quelque façon commune à tous les hommes, il est cependant vrai de dire, qu’elle convient particulièrement au sage.

Tous les hommes ont un cœur, il est vrai ; mais tous ne le possèdent pas ; il n’y a que le seul sage. Ce plaisir d’un cœur qui se possède, n’est connu que de lui ; les autres en sont tous capables, mais ils ne le connaissent ni ne le goûtent : ils courent volontairement à tout ce qui lui est contraire, ils s’aveuglent et se troublent de plus en plus. Ce n’est pas que tous les hommes ne puissent aspirer à cette joie. Qu’ils ferment les yeux à tout le reste, qu’ils les tournent sur eux-mêmes, qu’ils aient soin de rappeler leur propre cœur à sa droiture naturelle ; et dès lors ils auront part à cette joie solide et pure. Voilà ce que j’ai maintenant à vous répondre, mais permettez-moi de vous dire que je suis un peu surpris que vous me fassiez encore des questions sur cette matière, puisqu’après les entretiens que nous avons eus, vous avez depuis du temps toutes les lumières nécessaires : vous amuser encore à faire sur cela des recherches, c’est faire justement comme celui qui étant sur son âne, le cherchait de tous côtés[1].


Kao chen fou était venu de Hoang tcheou, ville de Hou quang[2], pour se faire disciple de Ouang yang ming. Au bout d’un an, comme il voulait s’en retourner, il vint trouver Ouang yang ming en particulier, et lui dit : Maître, j’ai eu le bonheur d’entendre votre importante doctrine sur ce qu’on appelle résolution ferme : je crois l’avoir bien comprise, et moyennant cela me pouvoir conduire. Cependant, prêt à m’éloigner de vous, je vous prie de vouloir bien me donner un mot d’instruction, dont je puisse jour et nuit conserver le souvenir. Ouang yang ming lui répondit :

Dans l’étude de la sagesse il faut imiter ce que sont les laboureurs dans l’agriculture. Ils commencent à la vérité par bien choisir la semence, et par la jeter à propos en terre ; mais ils n’en demeurent pas là. Ils labourent ensuite la terre avec soin : ils en ôtent les insectes, ils en arrachent les mauvaises herbes, ils arrosent quand il le faut : ils travaillent tout le jour à la culture de leur champ, et la nuit même ils en ont souvent l’esprit occupé. Ce n’est que par ces soins et ces fatigues, qu’ils espèrent que le peu qu’ils ont semé, quoique choisi et mis en terre à propos, sera d’un grand rapport en automne. Vous devriez assez m’entendre. Mais si vous voulez que je m’explique encore davantage, je vous dirai que cette résolution ferme dont nous parlons tant, et que vous vous flattez d’avoir, est comme la semence du laboureur. Étudier, penser, raisonner, s’éprouver dans la pratique, sont choses aussi nécessaires en matière de philosophie, que le sont, labourer, fumer, herser, et arroser, en matière d’agriculture. Un cœur, à qui cette

  1. Le chinois dit en quatre petits mots Ki lin mi lin. Monter âne, chercher âne. Voila mot à mot notre proverbe, qui tout bas qu’il est, fait la conclusion d’une lettre de la morale la plus raffinée.
  2. Nom d’une des provinces de la Chine.