Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/880

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encore une chose à faire : car être membre d’un État, et refuser de servir le prince, quand il le souhaite, il y a là quelque chose à redire. Retirons-nous, allons vivre ailleurs. Ils plièrent donc leur petit bagage : ils changèrent de nom sur la route pour n’être pas reconnus, et ils passèrent en un autre pays. Ceux qui furent instruits dans la suite du parti qu’avait pris Tsie yu, louèrent son désintéressement ; mais ils donnèrent surtout de grands éloges à sa femme, qui, sans céder à son mari dans le reste, avait montré plus de prévoyance et de grandeur d’âme.


Lai tse s’étant retiré de bonne heure de tous les embarras du monde, menait avec sa femme une vie paisible dans un endroit assez reculé. Des roseaux faisaient les murailles de sa maison : le toit était de paille. Un lit de simples planches, et une natte de jonc étaient tous les meubles de sa chambre. Lui et sa femme s’habillaient d’une toile assez grossière. Leurs mets ordinaires étaient des pois, qu’ils semaient et recueillaient de leurs propres mains. Il arriva qu’à la cour de Tsou, comme on s’entretenait des anciens sages, quelqu’un parla de Lai tse, comme d’un homme qui les égalait en vertu : il prit envie au roi de l’appeler à sa cour, et de lui envoyer des présents pour l’inviter. On laissa entendre au roi, que, selon les apparences, Lai tse ne viendrait pas. Sur quoi le roi se détermina à l’aller trouver lui-même en personne. En arrivant à sa cabane, il le trouva qui faisait des paniers propres à porter de la terre. Je suis, lui dit humblement le roi, un homme sans lumières et sans sagesse. Cependant je suis chargé du poids d’un État que m’ont laissé mes ancêtres. Aidez-moi à le soutenir. Je viens pour vous y inviter. Non, prince, répondit Lai tse, je suis un villageois et un montagnard tout à fait indigne de l’honneur, et encore plus incapable de l’emploi que V. M. daigne m’offrir. Je suis jeune et presque sans secours, lui dit le roi, faisant de nouvelles instances ; vous me formerez à la vertu : je veux sincèrement profiter de vos lumières et de vos exemples. Lai tse parut se rendre, et le roi se retira.

La femme de Lai tse revenant de ramasser un peu de bois à brûler : Que veut dire ceci, dit-elle ? Que sont venus faire ici ces chariots, dont je vois les traces ? C’est le roi lui-même en personne, dit Lai tse, qui est venu me presser de prendre sous lui le gouvernement de l’État : y avez-vous consenti, demanda la femme ? Le moyen de refuser, répondit Lai tse ? Pour moi, reprit la femme, je sais le proverbe, qui dit : qui mange le pain d’un autre, se soumet à souffrir ses coups. Il peut très bien s’appliquer à ceux qui sont auprès des princes : aujourd’hui en crédit et dans l’opulence, demain dans l’ignominie et dans les supplices ; et tout cela suivant le caprice de ceux qu’ils servent. Vous venez donc de vous mettre à la discrétion d’autrui ? Je souhaite que vous n’ayez pas lieu de vous en repentir, mais j’en doute ; et je vous déclare que pour moi je n’en veux point courir les risques : ma liberté m’est trop chère pour la vendre ainsi : trouvez bon que je vous quitte ; elle sort à l’instant, et se met en chemin. Son mari eut beau lui crier de revenir, et lui dire qu’il voulait encore délibérer ; elle ne daigna pas même tourner la tête : mais allant tout d’une traite jusqu’au midi du