Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/895

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de ce qui s’était passé, fit de beaux présents à cette femme, et la surnomma Y nei[1]. Voilà, se récrie sur cela l’historien chinois, quelle est la force du désintéressement parfait ! Il sauve un royaume entier par le moyen d’une villageoise.


Sous le règne de Suen vang, les huissiers courant la campagne, trouvèrent un homme qu’on venait de tuer, et à quelques pas deux frères qu’ils saisirent comme auteurs du meurtre. L’affaire étant examinée, on trouva que le mort n’avait qu’une plaie : d’où l’on conclut qu’un des deux frères n’avait point frappé. Il était question de savoir lequel avait donné le coup. On y fut fort embarrassé : car l’aîné disait, c’est moi. Le cadet soutenait au contraire que son aîné était innocent, que lui seul était le coupable. Les tribunaux inférieurs portèrent l’affaire au ministre, qui en fit son rapport à l’empereur.

Les élargir tous deux, dit le prince, c’est pardonner aux meurtriers, et autoriser le crime. Les condamner tous deux à mort, c’est aller contre les lois, puisqu’il est certain qu’un seul a frappé ; il me vient une pensée. Leur mère doit mieux les connaître que personne. Il faut que l’un des deux meure. Lequel des deux ? C’est sur quoi il faut s’en rapporter à leur mère. Le ministre l’ayant fait venir. Un de vos fils, dit-il, a tué un homme, et doit mourir pour expier ce crime. Chacun d’eux excuse son frère, et se dit le coupable. L’affaire est allée jusqu’au prince. Il a prononcé l’arrêt de mort contre l’un des deux, mais que du reste on s’en rapportât à vous, pour le choix qu’on devait faire.

La pauvre mère fondant en larmes : s’il faut, dit-elle, absolument qu’il y en ait un des deux qui perde la vie, que ce soit plutôt le cadet que l’autre. Le ministre faisant écrire sa réponse, ne laissa pas de lui témoigner qu’il était surpris qu’elle préférât ainsi l’aîné contre l’ordinaire des femmes, qui aiment plus tendrement leurs derniers enfants ; et il fut curieux de savoir pourquoi elle en usait autrement.

Seigneur, dit-elle, de ces deux frères le cadet seul est mon propre fils. L’aîné est d’un premier lit. Mais j’ai promis à feu mon mari de le regarder comme mon fils, et je lui ai jusqu’ici tenu ma parole. Sauver le cadet au préjudice de l’aîné, ce serait la violer, et n’écouter que les mouvements d’une tendresse intéressée. Le choix que j’ai fait me coûte, mais je crois m’y devoir tenir. Ces dernières paroles furent entrecoupées de gémissements et de sanglots. Le ministre ayant de la peine lui-même à retenir ses pleurs, se retira pour aller faire son rapport au roi. Le prince accorda la grâce aux deux fils en considération de la mère, dont il loua hautement la vertu et le généreux désintéressement.


Certain lettré de province ayant eu un emploi à la cour, laissa sa femme à la maison. Un homme du voisinage profita de cette absence pour entretenir avec elle un mauvais commerce, mais ayant su que le mari devait incessamment

  1. Justice, désintéressement, désintéressée. Nei. Sœur cadette, comme qui dirait, la sœur désintéressée, ou la généreuse sœur.