Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/92

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Quoiqu'on se serve communément du pinceau pour écrire, il y a cependant des Tartares qui emploient une espèce de plume faite de bambou, et taillée à peu près comme les plumes d'Europe. Mais parce que le papier de Chine est sans alun et fort mince, le pinceau chinois est plus commode que la plume. Si cependant on veut écrire avec la plume, ou qu'on s'en serve pour peindre à la chinoise des fleurs, des arbres, des montagnes, etc. il faut auparavant passer par dessus le papier, de l'eau dans laquelle on ait fait dissoudre un peu d'alun, pour empêcher que l'encre ne pénètre. Les caractères tartares sont de telle nature, qu'étant renversés, on les lit également, c'est-à-dire, que si un Tartare vous présente un livre ouvert dans le sens ordinaire, et si vous le lisez lentement, lui qui ne voit les lettres qu'à rebours, lira plus vite que vous, et vous préviendra lorsque vous hésiterez. De là vient qu'on ne saurait écrire en Tartare, que ceux qui se trouvent dans la même salle, et dont la vue peut s'étendre jusques sur l'écriture, en quelque sens que ce soit, ne puissent lire ce que vous écrivez, surtout si ce sont de grandes lettres. Il n'y a point de Tartare qui ne préfère sa langue naturelle à celles de toutes les autres nations, et qui ne la regarde comme la plus belle et la plus abondante qui soit au monde. C’est une prévention générale où sont tous les peuples : chacun pense bien de soi, de son pays, de sa langue, de son mérite ; et dans la persuasion où l'on est que les autres nations n'ont pas les mêmes avantages, on leur donne sans façon le nom de barbares. Le père Parrenin qui me fournit ces connaissances sur la langue tartare, eut bien de la peine à guérir le fils aîné de l'empereur de cette prévention, ainsi qu'on va le voir par l'entretien qu'il eut avec ce prince, dans un des voyages où il accompagnait l'empereur en Tartarie. Ce prince qui avait alors 35 ans, s'était persuadé qu'on ne pouvait bien rendre le sens de sa langue naturelle, et encore moins la majesté de son style, en aucune de ces langues barbares, (ainsi appelait-il les langues d'Europe, faute de les connaître.) Il en voulut faire l'épreuve, et pour s'en convaincre, dit le père Parrenin, il me fit venir un jour dans sa tente. — J'ai à écrire au père Suarez, me dit-il, pour lui recommander une affaire importante, mais comme il n'entend point le Tartare, je vous dicterai ce que j'ai à lui mander, et vous le traduirez en latin, qui est, comme vous me l'avez dit, une langue commune en Europe à tous les gens de lettres. — Rien de plus aisé, lui répondis-je en prenant la plume, car le papier était déjà préparé sur la table. Le prince commença d'abord par une longue période qu'il n'acheva pas tout à fait, et me dit de traduire. Je le priai de dire tout de suite ce qu'il voulait mander, après quoi je le mettrais en latin. Il le fit en souriant, comme s'il eut cru que je cherchais à éluder la difficulté. La traduction fut bientôt faite. Je lui demandai quelle suscription il voulait que je misse