Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/93

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à la lettre : — Mettez celle-ci, me répondit-il, paroles du fils aîné de l'empereur à Sou lin (c'est le nom chinois du père Suarez). Je le fis, et lui présentai la lettre, affectant de ne la pas relire. — Que sais-je, me dit-il, ce que vous avez écrit ? Est-ce ma pensée ? Est-ce la vôtre ? N'avez-vous rien oublié, changé, ou ajouté ? N'est-ce pas quelque pièce que la mémoire vous a fournie ? Car j'ai remarqué qu'en écrivant, vous n'avez fait aucune rature, et que vous ne transcriviez pas comme nous faisons nous autres. — Une si petite lettre, lui dis-je, ne demande pas qu'on se donne tant de peine, la première main suffit quand on sait la langue. — Bon, me dit-il, vous voulez me prouver que vous savez le latin, et moi je veux m'assurer que votre traduction est fidèle. Dites-moi donc en chinois ce que je vous ai dicté en tartare, et que vous dites avoir mis en latin. Je le fis aussitôt, et il en fut surpris. — Cela n’est pas mal, ajouta-t-il, et si la réponse qui viendra, est conforme à ce que vous venez de dire, je serai détrompé, mais il faut que le Père me réponde en chinois ; car s'il répondait en langue européenne, vous pourriez me donner une réponse de votre façon. Je l'assurai qu'il serait obéi, et que la réponse serait conforme à sa lettre. — Je vous avoue, répliqua le prince, que je vous ai fait appeler plutôt dans le dessein d'éprouver ce que vous savez faire, que par le besoin que j'eusse d'écrire à Peking. Quand je considère vos livres d'Europe, je trouve que la couverture en est bien travaillée, et que les figures en sont bien gravées ; mais les caractères me déplaisent fort : ils sont petits, et en petit nombre, mal distingués les uns des autres, et font une espèce de chaîne, dont les anneaux sont un peu tortillés ; ou plutôt ils sont semblables aux vestiges, que les mouches laissent sur les tables de vernis couvertes de poussière. Comment peut-on avec cela exprimer tant de pensées et d'actions différentes, tant de choses mortes et vivantes ? Au contraire, nos caractères, et même ceux des Chinois, sont beaux, nets, bien distingués. Ils sont en grand nombre, et l'on peut choisir : ils se présentent bien au lecteur et réjouissent la vue. Enfin notre langue est ferme et majestueuse, les mots frappent agréablement l'oreille, au lieu que quand vous parlez les uns avec les autres, je n'entends qu'un gazouillement perpétuel, assez semblable au jargon de la province de Fo kien. Ce prince ne trouve pas mauvais qu'on le contredise, chose assez rare parmi les personnes de son rang : ainsi je saisis l'occasion qu'il me présentait de défendre nos langues européennes. Je commençai cependant selon la coutume du pays, par avouer qu'il avait raison : ce mot plaît aux princes orientaux, ils le savourent avec plaisir, et les dispose à écouter les raisons par lesquelles on leur prouve insensiblement qu'ils ont tort. Ces ménagements ne sont pas moins en usage dans les cours d'occident, car il me semble que partout