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AUX GLACES POLAIRES

Oui, longtemps avant l’arrivée des Blancs, ma mère me disait qu’une étoile avait paru dans l’ouest-sud-ouest, et que plusieurs de notre nation s’y étaient transportés. Depuis ce temps-là, nous sommes tous séparés. Les Montagnais ont gagné le Sud ; leurs flèches sont petites et mal faites. Les Loucheux se sont dirigés vers le Nord ; leurs femmes sont maladroites. Mais nous, les hommes véritables, nous sommes demeurés dans les montagnes Rocheuses, et il y a fort peu de temps que nous sommes arrivés sur le bord du Mackenzie.


Toutes les légendes indiennes n’ont pas cette pureté. Mais à chaque pas de leurs récits apparaît la trace des traditions primitives. Les Mangeurs de Caribous racontaient ainsi à Mgr Breynat la révolte et la punition des anges :


Le corbeau était le plus beau des oiseaux. Il avait la plus belle voix, et son chant charmait la terre. Mais l’orgueil vint dans son esprit, et cela irrita tellement les autres oiseaux qu’ils se précipitèrent sur lui, le prirent par le cou, et, le tenant de la sorte, le plongèrent dans le charbon. Le corbeau, à demi-étranglé, essayait de crier. C’est depuis ce temps-là qu’il est noir et qu’il fait cro-a, cro-a.


Parmi les incohérences et les obscurités du paganisme, les missionnaires furent cependant heureux de découvrir parfois des clartés sur l’au-delà, entretenues par le bon sens naturel, qui est le regard ingénu et profond de toute âme neuve et droite :


J’examinais un jour la main d’un vieillard, privée de son pouce, raconte Mgr Taché. S’étant aperçu de mon attention, il me dit, d’un ton de conviction qui me toucha : « J’étais, un jour, à la chasse, en hiver, loin de ma loge. Il faisait froid. Je marchais. Tout à coup, j’aperçois des caribous (rennes). Je les approche ; je les tire ; mon fusil crève et m’emporte le pouce. Déjà beaucoup de mon sang n’était plus. En vain je m’efforçai d’en tarir la source. Impossible. Alors j’eus peur de mourir. Mais me souvenant de Celui que tu nommes Dieu, et que je ne connaissais pas bien, je lui dis : « Mon Grand Père (Settsié), on dit que tu peux tout ; regarde-moi, et, puisque tu es le Puissant, soulage-moi. » Tout à coup, plus de sang, ce qui me permit de mettre ma mitaine. Je regagnai ma loge, où je m’écrasai de faiblesse, en entrant. Je compris alors quelle est la force du Puissant. Depuis ce moment, j’ai toujours désiré de le connaître. C’est pourquoi, ayant appris que tu étais ici, je suis venu de bien loin, pour que tu m’enseignes à servir Celui qui m’a sauvé, et qui, seul, nous fait vivre tous. »