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germé en bonne terre, donnant cent pour un, au lieu d’être éparpillée aux quatre vents et aux quatre coins de l’Amérique, sur mille lieues d’un pays indéfendable ; les colons n’auraient pas pris ces habitudes de coureurs de bois, d’engagés, d’errants, de rameurs et de traitants, que l’argent vite gagné dégoûte du lent revenu des moissons âprement glanées.

Trop peu de gens, trop gouvernés, trop exploités, trop isolés parmi trop de difficultés, alors qu’un grand effort initial aurait vite donné ce premier et décisif tour de roue, cette erre d’aller d’un pays qui devait prendre les devants sur son voisin ou se voir déclasser, tel a été notre mal.

Admettons que c’est une entreprise, surtout en 1609, de déménager outre mer un morceau de pays, la vie et les éléments d’un peuple ; d’organiser ici, malgré la pire résistance des hommes et des choses, l’agriculture, l’industrie, les œuvres civiles et religieuses, ou simplement les transports. Comme le dit M. Montarville Boucher de la Bruère :

« Voyez-vous un Trifluvien de nos jours partir pour une petite excursion de trois cents milles en canot d’écorce, avec un veau et une génisse ligotés au fond de l’esquif, et remonter le Saint-Laurent, la rivière des Prairies, l’Outaouais aux rapides nombreux, nécessitant des portages difficiles sur un sol rocailleux et détrempé, à travers bois et ronces, pour atteindre le pays des Hurons, » au-delà de Toronto. — Et ce fait, très ordinaire alors, occupe deux lignes du Journal des Jésuites de 1646 : « Caron, qui menait des veaux aux Hurons, partit le 11 mai des Trois-Rivières »… C’est à frémir de songer que tout le matériel et les animaux ont été portés ainsi, d’une paroisse à l’autre… C’est cela créer un pays ! Créer, c’est faire quelque chose de rien, et tout est à faire.

Les compagnies ne font pas tout, elles font le moins possible : elles se soucient bien plus de faire de l’argent que de fonder une Nouvelle-France ; elles veulent même bloquer le défrichement, qui va éloigner le gibier ! C’est le système de la forêt pour les bêtes, en attendant celui de la forêt pour le bois de pulpe !

Sans secours donc et sans voisins, nos ancêtres s’acharnent contre les arbres, l’isolement, la pauvreté, les fauves et les sauvages dans une lutte d’usure où de moins vaillants eussent vite