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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/565

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SAINT THOMAS D’AQUIN

Les philosophes abondent en preuves de ce genre ; qu’ils tiennent, eux, pour démonstrations ; il me semble, à moi aussi, qu’on peut, d’une manière démonstrative, prouver cette proposition : Les corps célestes sont mûs par quelque intelligence, soit que Dieu les meuve immédiatement, soit qu’il les meuve par l’intermédiaire des anges, mais que Dieu les meuve par l’intermédiaire des anges, cela convient mieux à l’ordre de choses que Saint Denys affirme d’une manière infaillible.

Une question du lecteur vénitien va, d’ailleurs, presser Thomas d’Aquin de dire comment il conçoit cette action motrice des anges : cette question était sans doute suggérée par la lecture du Liber de intelligentiis[1].

« Les anges meuvent-ils les cieux par leur empire (imperium), en vertu d’une puissance qui leur a été livrée par Dieu ? » — « Je ne vois pas bien ce qu’il peut y avoir de douteux à cet égard. Que tout ce que font les anges, ils le fassent par une puissance que Dieu leur a donnée, je ne pense pas que personne en doute. Qu’est-ce donc qu’on révoque en doute ? Qu’ils meuvent les corps célestes par leur empire ? Ce doute me paraît déraisonnable. Ils ne sauraient en effet, puisqu’ils sont incorporels, mouvoir des corps par contact géométrique (per contactum quantitatis) : ils ne peuvent les mouvoir que par un contact de force (per contactum virtutis). Or, en un ange, il n’y a rien de plus élevé que son intelligence… Ses actions motrices (motiones) ; procèdent donc de sa force intellectuelle (virtus intellectus) ; or la conception intellectuelle, en tant qu’elle a efficacité pour produire un changement en quelque chose, se nomme empire (imperium). Si donc un ange meut, il ne peut mouvoir d’autre façon que par son empire. »

Thomas d’Aquin n’a plus abandonné cette doctrine qu’il avait soutenue dès son commentaire aux Sentences, et qui met au nombre des anges les moteurs spirituels des cieux. Cette opinion, il l’affirme encore dans une de ses dernières discussions quodlibétiques. « Il n’importe aucunement à la foi que les cieux soient animés ou non, » dit-il[2], reprenant un propos que Saint Augustin avait tenue en traité De Genesi ad litteram ; « en effet, les âmes des cieux seront comptées au nombre des anges. »

À la fin de sa carrière, donc, comme au commencement, le Doctor communis tient pour cette opinion que son maître Albert avait traitée de folie.

  1. Voir : Troisième partie, ch. IX. § V.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta ; quodlib. XII, art. IX : Utrum cœlum sit animatum.