Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/44

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J’ai lu Kant ; mais Bergson, je ne peux pas ; à la deuxième ligne, je suis ailleurs.

Pourquoi ?

Parce que Kant pensait, tandis que M. Bergson, lui, fait joujou. Voulez-vous un exemple d’écrivain qui ne voit pas ? Aucun écrivain scientifique n’est plus à la mode que Fabre ; je ne l’ai pas lu, et je vous dis pourquoi ; il m’a suffi d’une phrase de lui citée par Laurent Tailhade :

D’autres chauves-souris, moins bien partagées sous le rapport de l’ouïe, possèdent en compensation un odorat comme il n’y en a pas d’autre pour la finesse.

Dites-moi si l’homme qui a écrit cela a « vu » ce qu’il écrivait.

Flaubert, qu’on a pu accuser de rechercher la forme en dehors du fond, a écrit, tout au contraire (je n’ai pas vérifié la citation) :

Tant qu’on n’aura pas, d’une phrase donnée, séparé la forme du fond, je soutiendrai que ce sont là deux mots vides de sens. Il n’y a pas de belles pensées sans belles formes, et réciproquement… Supposer une idée qui n’ait pas de forme, c’est impossible, de même qu’une forme qui n’exprime pas une idée. Voilà un tas de sottises sur lesquelles la critique vit.

Marcel Martinet me signalait un autre propos de Flaubert ; c’est dans une lettre à sa nièce, lettre 284, tome XIII de l’édition Conard.

…Cette nouvelle, écrit-il, m’a causé une « vive impression » (style facile vous épargnant la peine de chercher les mots et de savoir ce qu’on veut dire)…

Vous épargnant la peine de savoir ce qu’on veut dire… est-ce bien cela !…

De même qu’écrire approximativement c’est avoir pensé approximativement, écrire vulgairement c’est avoir pensé vulgairement ; le beau langage sur des idées vulgaires, c’est toujours du maquillage.

Dans l’enquête que M. François Laya a instituée sur Baudelaire dans le premier numéro de l‘Eventail, j’ai dit — permettez-moi de me citer moi-même — que le grand titre de gloire de Baudelaire est d’avoir répudié « la formule couramment harmonieuse, ce sem-