Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/52

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dire « les anciens ». Racine, hélas, est plein de métaphores, et des pires…

Un peuple saint en foule inondant les portiques…

Racine a-t-il eu vraiment la vision d’une inondation ?

Les métaphores de Molière sont innombrables, et meilleures.

Quant à Boileau… Rappelez-vous…

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur…

Et ce qui suit… « l’influence secrète », « l’astre » qui « l’a formé poète », la « captivité » dans un « génie étroit » !… J’admettrais qu’on fasse apprendre cela par cœur aux écoliers, si c’était pour leur expliquer ce que c’est que le mauvais style, ou plutôt l’absence de style…

Je parcourais, récemment, une traduction française d’Euripide ; je remarquais l’extrême rareté des métaphores, quand je rencontrai précisément la petite phrase que voici :

« Il versait un torrent de larmes ! »

Je me dis : Tiens ! voici une métaphore… Mais cette métaphore, vraiment, Euripide a-t-il bien pu l’écrire ?

Je pris île texte grec ; et je lus, au lieu du « torrent de larmes », polla dacrua, beaucoup de larmes, tout simplement.

Le traducteur, — hélas, un professeur de l’Université, — avait offert à Euripide le cadeau de cette métaphore !

« Beaucoup de larmes », voilà le classique antique. Un « torrent de larmes », voilà le classique moderne.

Vous n’imaginez pas la quantité de métaphores misérables que certains professeurs de l’Université répandent dans les textes. Je n’ai pas le temps de vous donner des exemples ; je vous citerai pourtant encore un cas. Dans la collection Panckoucke, pourtant si réputée, le traducteur d’Horace, rien que dans les douze vers 23-35 de la première satire du second livre, a ajouté, de son cru, cinq métaphores, et lesquelles ! Les voici :

Vers 23. — Timet : il tremble.

Vers 24. — Quid faciam ? Pourquoi m’en défendre ?