Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« rayé » le mot comme ; en rétablissant le mot comme, je supprime la métaphore et restaure la comparaison. Et, ce faisant, je fais d’un même coup œuvre de réaliste et de symboliste.

J’ai étudié tout à l’heure la métaphore du point de vue de la sincérité que tout écrivain se doit à lui-même ; et j’en ai montré les dangers. Je dois ajouter quelques mots, du point de vue particulier de l’expression poétique cette fois ; et, cette fois encore, je me trouve obligé à traiter la métaphore en suspecte.

Je ne vous ai cité que de mauvaises métaphores ; vous me direz qu’il y en a de belles. Belles métaphores ou métaphores vulgaires, les inconvénients, du point de vue de l’expression poétique, sont presque les mêmes.

Premier inconvénient. La métaphore, même évocatrice, vieillit comme en musique vieillit un accord nouveau ; c’est-à-dire qu’elle perd rapidement sa valeur de comparaison et devient un cliché.

Dans le « torrent de larmes », il n’y a plus l’image d’un torrent ; il n’y a qu’un mot vide de signification concrète. Mais prenons une belle métaphore ; et prenons-la, précisément, chez un écrivain qui en emploie fort peu et seulement de premier choix, chez un ancien, chez Virgile : — Vino somnoque sepulti…

Qui osera dire qu’il voit ces hommes ensevelis dans le vin et le sommeil comme dans une sépulture ? Ce « sepulti », admirable quand il a été écrit, est devenu un cliché… L’accord nouveau…

Second inconvénient. Même neuve, la métaphore n’évoque jamais avec autant de réalité que la comparaison. Et, en effet, ce resserrement des deux images en une seule expression, au lieu de les renforcer, les affaiblit. Le « sepulti » de Virgile serait mieux réalisable s’il était isolé. En demandant la restriction de la métaphore, je demande l’intensification de l’image ; en vérité, je n’ai pas d’autre but. Deux images en une seule ne se réalisent pas ; elles s’enchevêtrent. Une image, d’abord ; et puis, une autre ; et l’évocation se réalise. Je veux que chaque image soit concrète, figurable, réelle ; et c’est pourquoi je ne veux pas que vous m’en accommodiez deux en une seule.

Quelque chose de bien extravagant, c’est ce que Claudel, ce grand poète, a écrit sur lui-même à ce sujet.