Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/76

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Eh bien, ce que nous reconnaissons dans les religions primitives, et spécialement clans les religions sémitiques primitives, c’est précisément ce que Renan a reconnu dans les langues primitives, et spécialement dans les langues sémitiques ; tout y est concret.

Vous entendez bien qu’il ne faut pas confondre le concret avec le vrai ; le primitif se trompe très probablement (je n’affirme rien) quand il croit aux esprits ; mais l’idée qu’il se fait des esprits est concrète et réaliste ; il se trompe tout aussi probablement quand il prétend aider à la production des céréales en accomplissant telle cérémonie magique, mais l’ordonnance de cette cérémonie n’en est pas moins établie sur un ensemble d’idées concrètes et réalistes, et les moyens employés n’en sont pas moins des actes d’ordre absolument pratique et parfaitement convenants à leur objet.

Un exemple : la prière.

Prier Dieu aujourd’hui, réfléchissez, réfléchissez comme il est difficile d’ « imaginer » cette opération ! Prier M. Poincaré, voilà une chose imaginable ; on lui demande une audience et on lui parle : il a des oreilles ; il entend. Ou bien, on lui écrit ; on lui fait tenir une lettre par un intermédiaire, la poste, ou un huissier ; il a des yeux ; il lit. Ou bien, on missionne un député… Mais prier un être spirituel ! Entend-il le son de votre voix ? Comment un être spirituel peut-il percevoir le son d’une voix ? Alors, c’est la voix de votre âme qu’il entend ? Nous voilà dans l’obligation de prendre une métaphore pour une explication… Je demande qu’on m’explique comment la prière procède. pour aller de vous, homme, à lui, Dieu. Je ne dis pas qu’elle n’y aille pas ; je dis qu’il m’est impossible d’« imaginer » comment elle y va, — à moins précisément d’avoir de Dieu la conception « païenne », la conception « religions primitives » des bonnes gens de la campagne.

Dans les anciennes religions païennes, en effet, et surtout dans les religions primitives, je sais et je vois comment la prière de l’homme arrive au dieu ; et cette fois j’écris « dieu » sans majuscule. D’abord, le dieu est là ; s’il n’est pas l’idole elle-même, il habite l’idole ; au pis, il hante dans les parages. Si l’on est à côté de lui, on n’a qu’à ouvrir la bouche et qu’à parler, comme nous parlerions à M. Poincaré. Il faut, bien entendu, se conformer à un protocole ; aussi bien