Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

certes, on ne lira pas. Cette femme rit ; elle n’a cependant pas, tout à l’heure, une seule fois regardé ; elle regarde maintenant ; elle rit ; elle parle au monsieur ; la jolie, jolie, jolie fille. Ce papier mâché est horrible ; buvons un peu ; l’affreux goût diminue. Voyons le menu ; petits-pois, asperges ; non ; glace, glace au café ; soit ; j’ai si peu d’appétit. Desserts, fromages, meringues, pommes. Le garçon sert le poulet ; bonne mine, le poulet.

— « Vous me donnerez, garçon, une glace au café ; ensuite, vous avez du fromage, du camembert ? »

— « Oui, monsieur. »

— « Du camembert alors. »

Au poulet ; c’est une aile ; pas trop dure aujourd’hui ; du pain ; ce poulet est mangeable ; on peut dîner ici ; la prochaine fois qu’avec Léa je dînerai chez elle, je commanderai le dîner rue Croix-des-petits-champs ; c’est moins cher que dans les bons restaurants, et c’est meilleur. Ici, seulement, le vin n’est pas remarquable ; il faut aller dans les grands restaurants pour avoir du vin. Le vin, le jeu, — le vin, le jeu, les belles, — voilà, voilà… Quel rapport est entre le vin et le jeu, entre le jeu et les belles ? je veux bien que des gens aient besoin de se monter pour faire l’amour ; mais le jeu ? Ce poulet était remarquable, le cresson admirable. Ah, la tranquillité du dîner presque achevé. Mais le jeu… le vin, le jeu, — le vin, le jeu, les belles… Les belles, chères à Scribe. Ce n’est pas du Châlet, mais de Robert-le-Diable. Allons, c’est de Scribe encore. Et toujours la même triple passion… Vive le vin, l’amour et le tabac… Il y a encore le tabac ; ça, j’admets… Voilà, voilà, le refrain du bivouac… Faut-il prononcer taba-c et bivoua-c, ou taba et bivoua ? Mendès, boulevard des Capucines, disait dom-p-ter ; il faut dom-ter. L’amour et le taba-c… le refrain du bivoua-c… L’avoué et sa femme s’en vont. C’est insensé… ridicule… grotesque… je les laisse partir…