Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/16

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— « Garçon ! »

Je vais payer tout de suite et les rattrapper. Voilà qu’ils sortent.

— « Garçon ! »

Le garçon n’est pas là ; c’est écœurant ; je suis stupide ; une occasion pareille ; je n’en fais jamais d’autres ; une femme miraculeuse. Elle n’a pas regardé par ici en se levant ; parbleu, c’est naturel. Ils partent. Ç’aurait été magnifique ; je l’aurais suivie ; j’aurais su où elle allait ; je serais bien arrivé à quelque chose. Quelle rue a-t-elle pu prendre ? ils ont tourné à droite ; elle a monté l’avenue de l’Opéra. Est-ce qu’il y a opéra ? certes, aujourd’hui lundi. Il sera utile que j’y conduise bientôt ma petite Léa ; elle en sera contente.

— « Monsieur a appelé ? »

Le garçon ; qu’est-ce qu’il veut ? j’ai appelé ? Assurément.

— « Je suis un peu pressé… n’est-ce pas… »

— « Très bien, monsieur. »

Ce garçon à l’air de se moquer de moi. Je suis en effet bien sot. Et pourquoi m’occuper d’autres femmes ? n’ai-je pas ma part ? à quoi bon une autre ? chercher, se fatiguer ? Encore des gens qui sortent. Je resterai toute la soirée à dîner. La glace ; bravo ; goûtons ; lentement ; cela se déguste ; cette fraîcheur ; le parfum de café ; sur la langue et le palais la fraîcheur parfumée ; on ne peut guère avoir ces choses-là chez soi. Comme il doit être las, le bonhomme qui menait son fils voir manger les glaces de Tortoni. Tortoni ; je n’y ai jamais mis un pied ; n’être jamais entré chez Tortoni ; ça vous manque ; sur l’air de la Dame-blanche, ça vous manque, — ça vous manque… Cette glace est finie ; tant pis. Le garçon a apporté le fromage sans que je l’observe. Il faut d’abord boire un peu d’eau. Dans douze ou quinze jours j’irai en province ; s’il fait beau, ils seront, toute la famille, à leur