Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/87

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la très jolie femme que j’aurais voulu revoir et qui riait.

— « Près moi seulement était une belle dame qu’escortait un vieux monsieur sans doute consul ou notaire. »

— « Félicitations. »

Dans le café vif d’éclatantes colorations et lumineux, le confort du dîner lent et des inconnus observés… Le vin, le jeu ; le vin, le jeu, les belles… Et tout-à-coup, très brillante en la rue nocturne, et sur des ombres, la façade de l’Éden-théâtre, Excelsior vu jadis, les cortèges de dansantes femmes ; et mon ami, celui qui se va marier, l’excellemment heureux de son bonheur communié, l’aimé, lui, de l’aimée.

— « Je suis rentré chez moi, sans incidents, m’étant seulement rencontré à un homme aimé d’une femme qu’il aime ; permettez que je note le cas. »

— « Cas rare certes, un homme qui aime. »

— « Vous croyez ? »

— « Il y a si peu de femmes qu’un homme puisse aimer ! une femme à qui plusieurs hommes disent qu’ils l’aiment, n’est aimée par aucun. »

C’est mal ce que dit Léa ; que lui répondrai-je qui ne la froisse point ? pourquoi ne sont-elles pas aimées, toutes et toutes les femmes, si non qu’elles ne veulent être aimées.

— « Si une femme » dis-je « n’est aimée, c’est, souvent, qu’elle ne le veut. »

Et, coupable ou méritoire, toute femme est complice au non-amour de qui l’a vue. Léa sourit, un peu moqueuse ; elle considère le feu qui s’éteint ; telle à peu près qu’en sa photographie.

— « On vous a remis » dit-elle « tout de suite ma carte chez vous ? »

— « Oui ; mais si je n’étais pas rentré chez moi ? »

— « Vous deviez rentrer. »