Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 134 —

Les hommes qui défilaient sans interruption étaient grands, solidement râblés, frais et surtout confiants. Ils étaient sûrs d’eux ; et cette confiance leur donnait une sorte de majesté qui faisait courber les âmes des vaincus.

Au bout d’une heure de contemplation désolée, — et comme le ruban militaire se déroulait toujours avec grand fracas de sabres et de bottes, — les deux spectatrices s’assirent. Muettes, elles continuèrent de regarder. Une heure s’écoula qui fut semblable à la précédente. Pas une minute, le flot gris vert ne cessa de déferler ; puis une autre heure suivit, qui ne tarit pas la sombre procession.

— Assez ! Assez !… murmura d’abord Rhœa lorsqu’à onze heures les mitrailleuses et les munitions de guerre défilèrent à leur tour.

Le martèlement des pas — dont la cadence avait, pendant quatre heures résonné dans sa tête, — brouillait de plus en plus ses pensées. Maintenant, c’étaient des chevaux, des autos… et des hommes,… et toujours des hommes… et encore des hommes,… et encore des dents…

— Assez ! assez ! supplia-t-elle les mains crispées.

— On dirait les fourmis du Mexique, dit la voyageuse qui avait vu ces nettoyeuses de forêts. Chacune d’elles peut être tuée, mais quand elles vont en colonne, rien ne leur résiste. C’est la loi du Nombre !