Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/28

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lèvres exsangues prononçaient le nom du père, tandis que, dans un suprême effort, une fille naissait, toute frêle et toute pourpre comme une fleur d’amour, l’homme que j’aimais goûtait une autre bouche que la mienne et accomplissait son automatique geste de semeur… avec une autre. Lui aussi délirait… mais de plaisir, son corps aussi tressaillait, mais ses frémissements tenaient de l’extase et non de la torture.

Quand je l’appris, je fus prise d’une crise nerveuse qui me fit passer du sanglot au rire inextinguible. Oui, vraiment, il avait raison : la grossesse est ridicule et l’enfantement un supplice.

Pendant que mes côtes éclataient sous la houle de cette hilarité tragique, une glace me renvoya mon visage masqué de hâle. Mes seins, lourds de lait, justifiaient tout l’humour des caricaturistes, et la déformation de mes hanches — irrémédiablement élargies — me fit regretter ma silhouette passée. Lui était là, debout, dédaigneux et intact. Son regard indifférent plongeait parfois dans le berceau et sa main fouillait rageusement la poche de son gilet. Quand il tira sa montre, je vis nettement qu’il se tenait pour une victime… Songez donc ! mes récriminations le mettaient en retard ! ma rivale fronçait peut-être le sourcil !…

Jusqu’au tréfond de mon être, j’éprouvai subitement l’humiliation d’être la Dupe. La dupe des mots