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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Mon mari aimait le jeu, chaque jour il portait mes fonds dans quelques tripots ; trop jeune encore pour m’occuper de l’avenir, trop faible pour me raidir contre son air hautain, je le laissais prodiguer tranquillement un bien amassé sans peine.

Un soir qu’il était au jeu, on m’annonça une femme qui voulait parler à son fils Pierrot ; je démêlai dans son air rembruni quelques traits de mon gentilhomme picard. Je fus bientôt confirmée dans mes soupçons par la surprise que lui occasionna le portrait de mon mari ; elle se tourna vers son fils et sa fille, qui la suivaient, et leur dit : « Mes enfants, voilà Pierrot ! avance, Jean, regarde monsieur ton frère. — Ma mère, répondit le garçon tout ébaubi, qu’il est brave ! »

Ma belle-mère avait un jupon bigarré de vert et de jaune, un corset rouge, les manches d’une autre couleur ; sa fille avait à peu près le même uniforme, le garçon était en veste et en guêtres. La bonne femme me dit : « Vous êtes donc notre fille, cette riche Madame que Pierrot a épousée ! » La fille venait admirer mes garnitures et s’écriait : « Mon Dieu, v’là enn’ faquoi de biau ! » Le garçon me prenait la main, la maniait rudement, en disant que j’avais des beaux agniaux.

Pour faire jaser ma belle-mère, je demandai comment l’idée de venir à Paris lui était venue. « Depuis longtemps, notre bru, je désirais avoir l’honneur de voir mon fils. Un garçon de notre village, palefrenier chez un gros, nous avait écrit sur