Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

sieurs ! il était si biau, il y avait des galons bleus, des manches rouges, des boutons de drap jaune. » Mon mari affecta de se trouver mal, il quitta la table, sa mère s’en aperçut, demanda ce qui lui était survenu. « Ce n’est rien, madame, dit le mousquetaire, c’est la maladie des pâles couleurs ; monsieur votre fils n’aime plus l’assemblage du jaune et du bleu, il a purgé ce mauvais goût de province à Paris. » — « Comment, dit la Berlingot, il se fâche d’avoir porté un si bel habit ! Ça lui fait beaucoup d’honneur, il a servi chez d’honnêtes gens, il ne leur a pas fait tort d’une épingle ; y a-t-il un péché d’être domestique ? J’aime mieux un laquais honnête homme, qu’un fermier général qui nous vole. »

La compagnie s’en alla, mon mari me fit des reproches : « Vous deviez, madame, m’épargner cette scène, ne pas m’exposer aux sarcasmes de Mme La Tour ; et vous, ma mère, me prévenir de votre arrivée ; on vous aurait fait habiller ; vos hardes de campagne donnent un ridicule. » — « À qui ? » dit la bonne femme ? — À des sots. — Est-ce là ce que vous avez appris à Paris ? N’est-on respectable ici qu’avec de beaux habits ? ma tendresse vaut mieux que des habits, ils n’ont pas de sentiments ; s’il faut de beaux habits pour être considéré, on est bien bête à Paris ! dans notre village on fait attention au bon cœur et à la probité. »

La mère, indignée des manières de son fils, partit le lendemain sans nous dire un mot. Ce départ soulagea le gentilhomme, crainte d’une seconde visite,