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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

il me fit changer le même jour de quartier ; et pour ne laisser aucun souvenir de sa parenté, il renvoya les domestiques. Le jeu de M. Berlingot minait chaque jour ma fortune, mes diamants étaient perdus, mes hardes enfilaient le même chemin. Un soir, il revint de meilleure heure et me dit : « Madame, nous passerons dans le quartier Saint-Marceau ; des raisons essentielles m’obligent à ce changement. » Il me fit conduire dans une chambre garnie ; et, sous prétexte de faire voiturer mes effets, il les vendit en bloc pour un prix modique et alla jouer l’argent. Il revint à dix heures du matin, voulut dormir, il ne put fermer l’œil ; à deux heures, il sortit ; à quatre, j’appris qu’il avait été tué du côté des Invalides.

Réduite à la plus insupportable misère, je devins la maîtresse d’un cuisinier ; il prit avec moi un ton de grandeur et de majesté. Cet animal unissait à la gravité d’un Espagnol, l’insolence d’un nouveau parvenu. Son père avait été cuisinier chez un duc ; il croyait que c’était un titre pour être impertinent : ce manant avait les caprices d’un grand. « Ma pouponne, disait-il, viens me caresser ! dis-moi des douceurs ! baise-moi la main. » ? Un jour, il s’avisa de dire comme le prince Sigismond, dans la pièce de ce nom : « Pouponne, fais-moi rire ». Outrée de ses impertinences, je lui cassai la mâchoire avec un pot au lait ; il recula deux pas, et, prenant le ton majestueux d’un prélat qui va répéter une oraison funèbre, il me dit : « Ta main profane et sacrilège a offensé la majesté de