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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

se leva, alla à la momie, et d’une voix un peu basse que j’entendis pourtant : « Xan-Xung est singulier avec son grand-père ; comment ce bonhomme dur comme fer pourrait-il parler ? Quelle idée a ce dieu Tien de vouloir qu’on souffle au derrière de cette momie pour voir du merveilleux ? Les dieux sont des originaux comme les hommes ; ils ont fait des araignées et des mères que je n’aime point… après tout, dois-je avoir de la répugnance à souffler au derrière du grand-père, c’est à peu près comme si je soufflais dans ces tuyaux de fer, dont nos pères se servaient pour souffler leur feu[1] ». Manette mit ses belles lèvres au derrière du père Xan-Xung, souffla ; à l’instant le bonhomme lâcha sa bordée, Manette jeta un grand cri, mon grand-père, dur comme le sont les vieillards, lui dit : « Garce, te voilà punie de ta curiosité ? » À cette voix étrangère, je courus ; ma maîtresse se lamentait du triste état où elle se trouvait.

Mon grand-père me fit un sermon : « Voilà une belle conduite, me dit-il ! Ton père t’envoie à Paris pour étudier, tu t’amuses avec une catin, tu dépenses son argent, ah ! drôle… — Mon papa, excusez-

  1. Nos Ostrogoths de grands-pères avaient pour allumer leur feu des espèces de chalumeaux de fer de la longueur d’une toise. Cet instrument n’avait d’autre avantage que celui d’altérer leur poitrine. Un philosophe, qui aurait voulu, dans ces temps-là, introduire l’usage de nos soufflets, aurait passé pour un novateur, pour un encyclopédiste, pour un monstre. On voit encore de ces soufflets dans les provinces et dans le Marais, où le bon sens arrive toujours très tard.