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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Le diable, qui ne dort jamais, à ce que disent les Capucins, veillait pour notre malheur. Il s’avisa, le jour de la Pentecôte, d’inspirer à ma tante l’envie de faire ses dévotions. C’était un usage, que ma cousine devait faire son bon jour quand la mère avait envie de faire son bon jour. À quatre heures du matin, Madame entra chez sa fille, nous dormions profondément. La vedette, c’est-à-dire la femme de chambre, nous imitait. Ma tante fut vivement étonnée de me voir dans les bras de sa fille. La vieille sorcière ne fit point de bruit, elle descendit doucement, et fut conter cette aventure à mon oncle.

Le philosophe accourut en chemise dans l’appartement de sa fille ; à son aspect, ma cousine s’évanouit. Mon oncle, armé d’un bâton, me le fit tomber dix ou douze fois un peu lourdement sur les épaules. Je sautai sur mon épée ; je la tirai ; ce brave gentilhomme n’avait jamais vu briller que les lames de couteaux ; la longueur de l’instrument le fit trembler, il se crut mort, il cria au meurtre. Les domestiques accoururent au bruit. Ma tante, pour mieux se disposer à la sainteté du jour, vomissait mille horreurs ; dans ce moment, les préceptes de Jean-Jacques furent en confusion : l’humeur, la rage nageaient sur les leçons, les sentences. Les deux Émiles, mâle et femelle, étaient deux démons.

Mon oncle vint derechef pour frapper sa fille ; je parai le coup, je le menaçai, il recula ; il fit bien, je l’aurais enfilé, s’il eût touché ma maîtresse ; les