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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

l’homme ; je fus remplie de respect pour les chevaux, et je les aimais comme font les grands seigneurs, les capitaines de cavalerie et les prieurs bénédictins.

Nous passâmes dans un endroit bordé de petites caves, qu’on me dit être un village ; j’aperçus une quantité d’hommes singuliers, qui m’épouvantèrent ; les uns n’avaient qu’un bras, les autres qu’une jambe, un troisième était sans cuisse, un autre avait le derrière dans un plat : « Ô ciel ! les vilains hommes ! » m’écriai-je. Nous nous arrêtâmes un moment. Un homme sans bras, marchant lentement, vint prier le philosophe de lui donner de l’argent, il n’avait point mangé, disait-il, depuis deux jours. Ariste lui donna trois livres. Je demandai pourquoi son maître ne donnait pas de pain à ce malheureux ; en parlant, je tournai la tête, je vis une cave remplie de pains, j’appelai le pauvre, je lui montrai avec transport la boutique au pain, en lui disant : « Mon ami, voici ce que tu cherches ? » Le philosophe comprit l’équivoque. « Crois-tu, Imirce, que cet homme puisse prendre du pain impunément ? s’il le faisait, on lui donnerait la puanteur. — Comment, ne m’as-tu pas dit cent fois qu’un homme sans pain tombait dans la puanteur ? — Eh bien oui, et s’il prend du pain, on lui donne la puanteur. — Entends si tu peux ton galimatias ; le Dieu de ta cave est original, il veut que tu fasses une chose et que tu ne la fasses pas : — Le maître de ma cave n’est pas l’auteur de ces lois,