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LA VILLE SANS FEMMES

quatre cartes postales de huit lignes chaque mois. Pour certains, cette compression de l’esprit et de la pensée était insupportable. Alors ils allaient voir le censeur ou le commandant et, invoquant toutes sortes de prétextes et de raisons, ils obtenaient l’autorisation d’envoyer une ou même plusieurs lettres supplémentaires. Cette autorisation fut presque toujours accordée et certains abusèrent de la bienveillance des autorités.

Que pouvaient écrire les internés ? D’aucuns, qui possédaient des entreprises commerciales ou industrielles, parlaient de leurs affaires. Dans l’ensemble, toutefois, le courrier qui partait du camp manquait, sinon d’originalité, du moins de variété. On le comprend aisément en lisant la lettre suivante adressée à un ami par un camarade d’un certain âge et point dépourvu de culture et qui vint accidentellement à ma connaissance : « Vous voulez que je vous écrive plus souvent ? Je vous écrirai volontiers, mais que puis-je vous raconter ? Que puis-je vous dire ? Dois-je vous raconter des fables ? Lorsque je vous ai dit que je suis bien, que l’on me traite bien, je n’ai plus rien à ajouter. La vie du prisonnier est trop simple et trop monotone. Celle du premier jour est la même tous les autres jours qui suivent, même si les semaines devaient se multiplier durant encore cent mille ans. Imaginez un homme maître d’une seule chose : vingt-quatre heures. Que doit-il faire ? Manger, lire, dormir. Dormir, lire, manger. C’est une ritournelle sur ces trois rimes. En effet, je ne fais autre chose. Je parviens à rester allongé dix-huit heures sur les vingt-quatre. Je vous avoue,