Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/191

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J’écris ces lignes un des premiers soirs après mon arrivée au camp. J’ai la tête toute sonore encore d’une orgie musicale. L’âme et le cerveau déborde de vibrations rythmiques. Il me semble avoir subi une transfusion de sang. Je me sens un autre homme…

Jamais, comme à cette minute, je n’ai saisi toute la valeur d’un épisode qui me fut raconté jadis par un confrère, envoyé spécial d’un journal parisien sur le front italo-autrichien, pendant la guerre de 1914-1918, et qui en fut témoin.

C’était sur le Carso.

Un petit soldat sicilien, écrasé sur un rocher, pleurait silencieusement.

— Qu’est-ce qui te chagrine de la sorte ? lui demanda un lieutenant.

— Ma mère est morte, ma femme est à l’hôpital et j’ai deux petits enfants.

— Chante ! répondit l’officier. Cela te soulagera !

C’est bien par le chant et par la musique que les peuples méridionaux de l’Europe exaltent toute leur tristesse. Et ces peuples sont beaucoup plus mélancoliques que ceux du Nord.

Qu’y a-t-il de plus élégiaque que les airs arabes psalmodiant comme des nenies, et que les « malaguenas »