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LA VILLE SANS FEMMES

espagnoles, dont les cadences évoquent des gémissements, et que certaines chansonnettes napolitaines, où l’amour et la nostalgie se confondent en une seule plainte ?

J’en ai eu une preuve le jour de notre voyage de Montréal à notre établissement. L’angoisse nous dominait à cause de l’incertitude de notre sort immédiat. Il y avait déjà plus de deux heures que le train filait sur une voie unique, traversant des agglomérations minuscules et sans nom. Chaque tour de bielle de la locomotive semblait alourdir nos cœurs, car il nous éloignait un peu plus de nos foyers, de nos familles, de tout ce qui nous était cher et connu, pour nous porter toujours plus loin vers l’inconnu.

Tout à coup le train s’arrêta à la hauteur d’une petite ferme, dont les habitants avaient l’air d’être familiers avec les cheminots descendus du convoi pour causer avec eux.

J’attendis, le cœur battant d’incertitude, cinq minutes, un quart d’heure… Mes compagnons étaient également anxieux.

Au milieu du grand silence qui s’était fait dans les quatre wagons que nous occupions, une voix fraîche, ténorisante, s’éleva et entonna une romance populaire italienne aux cadences langoureuses :

Non ti scordar di me
La vita mia legata a te


(Ne m’oublie pas, ma vie est liée à toi pour toujours…) disait le refrain…