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LA TOUR DE BABEL

déploya, en l’occurrence, une diplomatie subtile, pour que l’incident en restât là.

Curieuse et étrange destinée que celle de ces « hors-la-loi » ! Un de leurs chefs (et non des moindres) a vécu quarante mois environ au camp en donnant un exemple admirable de discipline, de bonne volonté, d’esprit de conciliation et de résignation. Un beau jour, il fut libéré. Il rentra chez lui. Et quelques mois après il disparut dans des circonstances mystérieuses qui n’ont pas encore été éclaircies et ne le seront peut-être jamais.

Ces « hors-la-loi » ont, d’ailleurs, une manière de parler, de marcher, de gesticuler, qui semble faire partie d’un langage particulier, intelligible seulement aux initiés.

Il y en a un qui, de temps en temps, l’après-midi, lorsque je travaille dans la pharmacie, ouvre la porte avec prudence. Il s’assure, d’abord, que je suis bien seul. Il entre sur la pointe des pieds. Puis, tout à coup, d’un mouvement brusque, il se flanque tout près de moi, l’index de la main droite tendu comme le canon d’une mitraillette, et murmure sur un air de sommation :

— Deux aspirines !

Sur le même ton avec lequel il dirait au caissier d’une banque :

— L’argent du coffre, ou je tire !

Autre contraste moral.

Un pauvre diable, qui, dans le civil, ne se serait approché d’un « monsieur » qu’avec beaucoup d’égards, de gêne et de contrainte, éprouve ici une subtile joie sadique de se sentir devenu tout à coup l’égal de ceux qui lui