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LA VILLE SANS FEMMES

— Non ! Un dollar ?

— Faisons un dollar cinquante…

— Un dollar vingt-cinq…

— O. K.

Et une poignée de mains scelle le marché. Tony s’en va, emportant triomphalement l’argent, et le soir à la cantine il boira en bouteilles de bière tout ce qu’il a gagné au cours de la journée.

Dans le groupe, il y a encore un bon cuisinier qui assaisonne du savoureux « goulash » au paprika selon la meilleure mode budapestoise ; un joueur d’échecs qui pourrait gagner un championnat international et, enfin, deux figures caractéristiques. L’une est celle de l’ingénieur en chef du bateau, que j’appelle Ursus, sorte de géant débonnaire, doué d’une force herculéenne, qui sait raconter, en plusieurs langues, les histoires les plus poivrées que l’on puisse imaginer. L’autre est le commandant en second du bateau, un vieil italien de Fiume, âgé, je crois, de soixante-dix-sept ans, resté obstinément fidèle aux Habsbourg. Toujours rouge de colère, il se promène dans le camp à pas hâtifs, serrant entre les lèvres de sa bouche complètement édentée une cigarette sur laquelle il s’obstine à tirer rageusement des bouffées de fumée qui ne viennent pas. Lorsqu’il peut, il attrape le premier venu par le revers du veston et l’invective comme s’il était responsable des événements.

— Les cochons ! maugrée-t-il au comble de l’irritation. C’est bien fait pour eux ! Ils ont voulu faire sauter le trône de François-Joseph… Tout s’est effondré ! Vienne,