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NOTRE VILLE

De telles conversations ne sont pas rares. Elles touchent à un problème aigu. Beaucoup des habitants du « bourg » ne sont pas riches. Plusieurs d’entre eux et leur famille vivaient de l’assistance publique. Depuis l’internement, ce secours, naturellement, a été supprimé. Et ces hommes pensent : « Si encore nous n’étions ici que pour un mois, deux mois, six mois… passe encore ! Mais combien de temps cela durera-t-il ? » Et c’est là une deuxième raison d’énervement et de désarroi moral : l’incertitude de son sort.

Si chacun de nous savait qu’après une certaine période de temps déterminée, il serait rendu à la liberté, il accepterait d’un cœur bien plus léger cette épreuve. À la fin du jour, il saurait qu’une partie de l’épreuve est écoulée. Il pourrait compter les jours qui lui restent à vivre au camp. Mais ignorer ce qu’apportera la journée qui s’en vient et la journée du lendemain et ainsi de suite indéfiniment, cela aggrave et accentue l’ennui, si bien qu’au lieu d’accomplir volontiers un travail qui pourrait apporter de la joie et du bien-être, plusieurs font leur besogne quotidienne avec une sorte de révolte intérieure et une mauvaise volonté évidente.

Celui-ci, par exemple, pour s’éviter une fatigue feindra ou inventera un malaise, il étalera sans vergogne une infirmité physique qu’il aurait, en tout autre temps, soigneusement cachée. Celui-là évitera prudemment les coins « dangereux » du village, les endroits où peut se produire l’arrivée inopinée d’une charrette ou d’un camion, ceux qui se trouvent sur les lieux étant presque toujours obligés