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LA VILLE SANS FEMMES

avec force contre la jambe du voleur, à la hauteur des poches…

Cet incident me rappelle que, le premier jour où nous nous sommes vus tous ensemble revêtus de l’uniforme du camp, quelqu’un s’était écrié :

— À partir de maintenant, nous sommes tous égaux.

Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que ce camarade perdît cette puérile illusion. Les inégalités du cœur, de l’esprit, du corps et de la volonté ne tardèrent pas à se manifester. Et chacun réagit à sa manière devant la vie nouvelle qui lui était imposée. Voyez ces hommes de métier qui ont toujours exécuté des travaux manuels. Ce sont ceux-là mêmes que rebutent le plus ici les besognes manuelles. L’un d’eux raisonne ainsi :

— Puisque le plan naturel de notre existence est faussé et qu’on nous impose une vie anormale, aussi bien pousser l’anormalité jusqu’au bout. Puisque ce qui était normal pour nous hier ne l’est plus, pourquoi continuerions-nous à travailler ?

Ce curieux état d’esprit explique les cas les plus contraires. Voici des hommes élevés dans un milieu social au-dessus de la moyenne, des hommes de profession libérale, des chefs d’entreprise, qui s’adonnent à tout travail manuel avec une espèce de frénésie. Le propriétaire d’une importante entreprise lave les tables à la cuisine puis travaille à la construction d’un pont. Un avocat sort les poubelles de la cuisine. Un ingénieur scie du bois avec un journaliste et un ancien haut magistrat municipal.

D’étranges révolutions psychologiques se révèlent. Je