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LA VILLE SANS FEMMES

Mais le soldat, lui, sait ce qui l’attend. Il a, de plus, le sentiment de servir son pays. Il a aussi l’espoir et l’ambition de gagner des honneurs, de devenir un héros.

Ici, dans notre grand village, surtout pour l’interné italien qui a vu avec angoisse son pays d’origine s’orienter vers la guerre, c’est autre chose. De plus, dans notre camp, l’âge moyen oscille entre quarante et cinquante ans. Beaucoup d’hommes de cette génération parvenaient au point culminant de leur carrière, le point après lequel on commence à entrevoir le repos mérité de la retraite. Et ces hommes craignent de voir s’écrouler irrémédiablement l’édifice patiemment bâti à force de labeur et de sacrifices.

La souffrance de l’interné est dès le début et d’abord une inquiétude morale.

Aucun de ces hommes, autant que je sache (et les faits le démontreront probablement par la suite), ne s’est rendu coupable de quelque trahison contre le pays que la plupart d’entre eux avaient adopté comme le leur. Leur faute est d’avoir exprimé de la sympathie plus ou moins marquée pour le gouvernement d’un pays étranger qui a déclaré la guerre au Canada. Et puisque faute il y a eu, il est équitable qu’ils payent. Même s’ils n’ont obéi à aucune considération de philosophie politique en témoignant de la sympathie pour le gouvernement de leur pays d’origine. Ce sont de braves gens pour la plupart dont la culture ne dépasse guère la moyenne quand elle n’est pas au-dessous. Ils ont surtout été victimes d’un besoin excessif d’extériorisation, ce trait de caractère des latins du Midi. Quelques