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INFIRMIER

s’apprêtaient à dormir, la porte s’ouvrit bruyamment. C’était un soldat suivi du sergent-major.

— Mon ami, dit ce dernier en s’adressant au restaurateur, levez-vous. Vous allez partir.

— Partir ? Pour où ?

— Pour chez vous… Vous êtes libre !

L’infirme retrouva soudainement les forces de ses vingt ans. D’un bond, il fut debout. Un brave ouvrier, qui lui avait toujours servi d’aide dévoué et qu’on avait fait appeler, surgit au même moment. Le propriétaire d’un cinéma, amené à l’hôpital sur un brancard, — il souffrait d’une attaque d’arthrite aux deux genoux —, un ingénieur, hospitalisé pour un lumbago, un menuisier de Toronto alité par la grippe, le médecin de nuit et les autres malades entourèrent celui qui allait partir tandis qu’on ramassait ses effets personnels pour les entasser dans une valise. Mais le restaurateur voulut y voir lui-même. On essaya de le calmer, de le soutenir. Il se dégagea, pressé de partir, de s’en aller, de ne plus subir de contrainte, de se sentir libre enfin

Il s’habilla tout seul, comme il put, et nous le regardions avec cette joie mêlée d’un peu d’envie qui s’empare des êtres humains à la vue du bonheur d’autrui.

Enfin, tout fut prêt.

Le sergent-major était déjà au seuil de l’hôpital. Le libéré allait le suivre quand, brusquement, il se tourna vers nous. Et il nous enveloppa d’un regard pathétique. On aurait dit qu’il avait presque honte de la joie qui lui échouait.