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n’avait ni interruption ni lassitude pendant les deux ou trois heures que durait notre souper.

C’était autre chose chez Mlle Mars. Malgré son âge, qui était du reste à peu près celui de Mlle Georges, elle avait conservé, sinon une grande jeunesse, du moins une grande apparence et un grand besoin de jeunesse.

Elle était de 1778, et ne cachait nullement son âge à ses amis.

Un petit meuble, donné par la reine à sa mère, accouchée de Mlle Mars le jour même où Marie-Antoinette était accouchée de la Dauphine, portait la date de 1778.

Mlle Mars avait en elle deux femmes très-différentes : la femme du théâtre, il vous en souvient, n’est-ce pas ? et la femme de la vie privée.

La femme du théâtre, avec son œil caressant, sa voix sympathique, une grâce infinie dans tous ses mouvements ; la femme de la vie privée, avec son œil dur, sa voix rauque, ses gestes brusques, aussitôt qu’elle éprouvait quelque contrariété, de quelque part que la chose vint.

Elle avait auprès d’elle une pauvre Marton de province, qu’elle avait ramenée de Bordeaux pour lui servir de dame de compagnie, de lectrice, de souffre-douleur.

Cette compagne s’appelait Julienne, avait infiniment d’esprit, m’aimait beaucoup et faisait de moi son confident.

Un jour qu’elle me racontait une scène, dans laquelle elle avait eu le courage de ne pas répondre aux apostrophes de Célimène, et que je l’en félicitais, elle me dit :

« Mon cher Dumas, vous qui savez tout faire, même des comédies, inventez-moi donc une occupation quelconque où je puisse écouter, les yeux baissés, toutes les injures qu’elle me dit, et où mon impatience puisse se faire jour sans paraître.

— Ma chère Julienne, lui dis-je, amusez-vous à faire du paysage.

— Mais je ne sais pas peindre, me dit la pauvre fille.

— Bon, lui dis-je, pour faire du paysage, il n’y a pas besoin de savoir peindre ; il s’agit seulement de faire des lignes droites qui représentent des troncs d’arbres, et une espèce de barbouillage