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il fait qu’ils meurent ! parce que leurs yeux ont vu ce qu’ils ne devaient pas voir, il faut que leurs yeux s’éteignent ! parce que leurs lèvres ont reçu et donné des baisers qu’elles ne devaient ni recevoir ni donner, il faut que leurs lèvres se taisent pour ne se rouvrir, comme accusatrices, que devant le trône de Dieu !… Mais aussi, malheur ! malheur cent fois mérité à ces imprudents qui se lèvent au premier appel d’un amour nocturne ! présomptueux qui croient que cela est une chose toute simple que de venir la nuit par l’orage qui gronde, les yeux bandés, dans cette vieille tour de Nesle pour y trouver trois femmes jeunes et belles, leur dire : Je t’aime, et s’enivrer de vin, de caresses et de voluptés avec elles !

UN CRIEUR DE NUIT, en dehors.

Il est deux heures, la pluie tombe, tout est tranquille : Parisiens, dormez.

ORSINI.

Deux heures déjà !


Scène VI.


ORSINI, LANDRY.
LANDRY.

Maître !

ORSINI.

Que veux-tu ?

LANDRY.

Il est deux heures du matin, le crieur de nuit vient de passer.

ORSINI.

Eh bien ! nous sommes encore loin du jour.

LANDRY.

Mais les autres s’ennuient.

ORSINI.

On les paye.

LANDRY.

Sauf votre bon plaisir, maître, on les paye pour frapper et non pour attendre. S’il en est ainsi, qu’on double la somme : tant pour l’ennui, tant pour l’assassinat.

ORSINI.

Tais-toi ; voici quelqu’un : va-t’en.

LANDRY.

Je m’en vais ; mais ce que j’ai dit n’en est pas moins juste.

(Il sort.)



Scène VII.


ORSINI, MARGUERITE.
MARGUERITE.

Orsini !

ORSINI.

Madame ?

MARGUERITE.

Où sont tes hommes ?

ORSINI.

Là.

MARGUERITE.

Prêts ?

ORSINI.

Tout prêts, madame, tout prêts… La nuit s’avance.

MARGUERITE.

Est-il donc si tard ?

ORSINI.

L’orage se calme.

MARGUERITE.

Oui ; écoute le tonnerre.

ORSINI.

Le jour va venir.

MARGUERITE.

Tu te trompes, Orsini, vois comme la nuit est encore sombre…

(Elle s’assoit.)
ORSINI.

N’importe, madame ; il faut éteindre les flambeaux, relever les coussins, renfermer les flacons : vos barques vous attendent ; il faut repasser la Seine, rentrer dans votre noble demeure et nous laisser les seuls maîtres ici, les seuls maîtres.

MARGUERITE.

Oh ! laisse-moi : cette nuit ne ressemble pas aux nuits précédentes ; ce jeune homme ne ressemble pas aux autres jeunes gens : il ressemble à un seul, si au-dessus de tous !… Ne trouves-tu pas, Orsini ?

ORSINI.

À qui ressemble-t-il donc ?

MARGUERITE.

À mon Gaultier d’Aulnay. Parfois je me suis surprise en le regardant, à croire que je voyais Gaultier : c’est un enfant tout d’amour et de passion ; c’est un enfant qui ne peut être dangereux, n’est-ce pas ?

ORSINI.

Oh ! madame, que dites-vous là ? Songes donc que c’est un jouet qu’il faut prendre et briser ; que plus vous avez eu avec lui de bonté et d’abandon, plus il est à craindre… Il est bientôt trois heures,