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moine de Saint-François lui a remises aujourd’hui et qu’il a juré sur la croix et l’honneur d’ouvrir, si d’ici là il n’avait pas vu un certain capitaine, qu’il a rencontré à la taverne d’Orsini… Ce capitaine, c’est moi ; si tu me fais tuer, Marguerite, il ne me verra pas et il ouvrira les tablettes.

MARGUERITE.

Penses-tu qu’il croira plus à ton écriture qu’à tes paroles ?

BURIDAN.

Non, Marguerite, non ; mais il croira à l’écriture de son frère, aux dernières paroles de son frère, écrites avec le sang de son frère, signées de la main de son frère ; il croira à ces mots qu’il lira : Je meurs assassiné par Marguerite de Bourgogne. Tu n’as quitté Philippe qu’un instant, imprudente, ç’a été assez. Croira-t-il maintenant l’amant trahi ? croira-t-il le frère assassiné ? Hein ! Marguerite ; réponds-moi ? penses-tu à cette heure qu’il n’y ait qu’à faire tuer Buridan le capitaine pour te débarrasser de lui… Fouille mon cœur avec vingt poignards et tu n’y trouveras pas mon secret. Envoie-moi rejoindre dans la Seine mes compagnons de nuit, Hector et Philippe, et mon secret surnagera sur la Seine, et demain, demain, à la dixième heure… Gaultier… Gaultier, mon vengeur, viendra te demander compte du sang de son frère et du mien… Voyons… suis-je un fou… un imprudent, ou mes mesures étaient-elles bien prises ?

MARGUERITE.

Si cela est ainsi…

BURIDAN.

Cela est.

MARGUERITE.

Que voulez-vous de moi alors ? Voulez-vous de l’or ? vous fouillerez à pleines mains dans le trésor de l’État. La mort d’un ennemi vous est-elle nécessaire ? voici le sceau et le parchemin que vous m’avez dit d’apporter. Êtes-vous ambitieux ?… je puis vous faire dans l’État ce que vous désirez être… Parlez, que voulez-vous ?

BURIDAN.

Je veux tout cela. — (Ils s’asseyent.) Écoute-moi, Marguerite ; comme je l’ai dit, il n’y a ici ni roi ni reine… Il y a un homme et une femme qui vont faire un pacte, et malheur à qui des deux le rompra avant de s’être assuré de la mort de l’autre !… Marguerite, je veux assez d’or pour en paver un palais.

MARGUERITE.

Tu l’auras, dussé-je faire fondre le sceptre et la couronne !

BURIDAN.

Je veux être premier ministre.

MARGUERITE.

C’est le sire Enguerrand de Marigny qui tient cette place.

BURIDAN.

Je veux son titre et sa place.

MARGUERITE.

Mais tu ne peux les avoir que par sa mort.

BURIDAN, raillant.

Je veux son titre et sa place.

MARGUERITE.

Tu les auras.

BURIDAN.

Et je te laisserai ton amant, et je te garderai ton secret… C’est bien. — (Il se lève.) À nous deux maintenant, à nous deux le royaume de France ; à nous deux nous remuerons l’État avec un signe ; à nous deux nous serons le roi et le véritable roi ; et je garderai le silence, Marguerite ; et tu auras chaque soir ta barque amarrée au rivage, et je ferai murer les fenêtres du Louvre qui donnent sur la tour de Nesle ; acceptes-tu, Marguerite ?

MARGUERITE.

J’accepte.

BURIDAN.

Tu entends, Marguerite ! demain à pareille heure je veux être premier ministre.

MARGUERITE.

Tu le seras.

BURIDAN.

Et demain matin à dix heures j’irai à la cour prendre mes tablettes.

MARGUERITE, se levant.

Vous y serez bien reçu.

BURIDAN, prenant un parchemin et lui présentant la plume.

L’ordre d’arrêter Marigny !

MARGUERITE, signant.

Le voici.

BURIDAN.

C’est bien. Adieu, Marguerite, à demain.

(Il prend son manteau et sort.)



Scène VI


MARGUERITE, seule et le suivant des yeux.

À demain, démon ; oh ! si je te tiens un jour entre mes mains comme tu m’as tenue ce soir dans les tiennes… Si ces tablettes maudites… Malheur, malheur à toi de me venir ainsi braver, moi, fille de duc ; moi, femme de roi ; moi, régente de France !… Oh ! ces tablettes… la moitié de mon sang à qui me les donnera… Si je pouvais voir Gaul-