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JOYEUSE.

Que dis-tu de notre maître des comptes, La Chapelle-Marteau ?

D’ÉPERNON.

Insolvable : … en huit jours il épuiserait les trésors de Philippe II.

SAINT-MÉGRIN.

Et le petit Brigard ?…

D’ÉPERNON.

Bah !… un prévôt de boutiquiers ; il offrirait de s’acquitter en cannelle et en herbe à la reine.

RUGGIERI.

Thomas Crucé ?…

D’ÉPERNON.

Si je vous prenais au mot, mon père, vos épaules pourraient bien garder pendant quelque temps rancune à votre langue… Il n’est pas endurant.

JOYEUSE.

Eh bien ! Bussy Leclerc.

D’ÉPERNON.

Vive Dieu !… un procureur… tu es de bon conseil… — (À Ruggieri.) Tiens… voilà un bon de dix écus noble rose. Fais bien attention que la double rose n’est point démonétisée comme l’écu sol et le ducat polonais, et qu’elle vaut 12 francs. Va chez ce coquin de ligueur de la part du d’Épernon, et fais-toi payer : s’il refuse, dis-lui que j’irai moi-même avec vingt-cinq gentilshommes et dix ou douze pages…

SAINT-MÉGRIN.

Allons : maintenant que ton compte est réglé, je te rappellerai qu’on doit nous attendre au Louvre… Il faut rentrer, messieurs ; partons t

JOYEUSE.

Tu as raison ; nous ne trouverions plus de chaises à porteurs.

RUGGIERI, arrêtant Saint-Mégrin.

Comment ! jeune homme, lu t’éloignes sans me consulter… toi !

SAINT-MÉGRIN.

Je ne suis pas ambitieux, mon père ; que pourriez-vous me promettre ?

RUGGIERI.

Tu n’es pas ambitieux !… Ce n’est pas en amour, du moins.

SAINT-MÉGRIN.

Que dites-vous, mon père ? parlez bas…

RUGGIERI.

Tu n’es pas ambitieux, jeune homme, et pour devenir la dame de tes pensées, il a fallu qu’une femme réunit dans son blason les armes de deux maisons souveraines, surmontées d’une couronne ducale…

SAINT-MÉGRIN.

Plus bas, mon père, plus bas !

RUGGIERI.

Eh bien ! doutes-tu encore de la science ?

SAINT-MÉGRIN.

Non…

RUGGIERI.

Veux-tu partir encore sans me consulter ?

SAINT-MÉGRIN.

Je le devrais peut-être…

RUGGIERI.

J’ai cependant bien des révélations à te faire.

SAINT-MÉGRIN, après un moment d’hésitation.

Qu’elles viennent du ciel ou de l’enfer, je les entendrai… Joyeuse, d’Épernon, laissez-moi : dans quelques instants je vous rejoindrai dans l’antichambre…

JOYEUSE.

Un instant, un instant… ma sarbacane… De par Sainte-Anne ! Si j’aperçois une maison de ligueurs à cinquante pas à la ronde, je ne veux pas lui laisser un seul carreau.

D’ÉPERNON, à Saint-Mégrin.

Allons, dépêche-toi… et nous te ferons bonne garde pendant ce temps.

(Ils sortent.)



Scène IV.


RUGGIERI, SAINT-MÉGRIN, LA DUCHESSE DE GUISE.
SAINT-MÉGRIN, poussant la porte.

Bien, bien… — (Revenant.) Mon père… un seul mot… M’aime-t-elle ?… Vous vous taisez, mon père… malédiction !… Oh ! faites… qu’elle m’aime ! On dit que votre art a des ressources inconnues et certaines, des breuvages, des filtres ! Quels que soient vos moyens, je les accepte : dussent-ils compromettre ma vie en ce monde et mon salut dans l’autre… Je suis riche. — (Jetant sa bourse.) Tout ce que j’ai est à vous. Cet or, — (détachant ses chaînes) ces bijoux ; ah ! votre science peut-être méprise ces trésors du monde ? Eh bien ! écoutez-moi, mon père ! On dit que les magiciens quelquefois ont besoin, pour leurs expériences cabalistiques, du sang d’un homme vivant encore. — (Lui présentant son bras nu.) Tenez, mon père… engagez-vous seulement à me faire aimer d’elle…

RUGGIERI.

Mais es-tu sûr qu’elle ne t’aime pas ?

SAINT-MÉGRIN.

Que vous dirai-je, mon père ? jusqu’à l’heure du désespoir, ne reste-t-il pas au fond du cœur une espérance sourde ?… Oui, quelquefois j’ai cru lire