Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
GAULTIER.

Tes yeux damnés n’ont jamais vu, je l’espère, l’écriture sacrée de la reine.

BURIDAN, ouvrant la boîte de fer.

La reconnais-tu ?… Lis : Ta Marguerite bien-aimée.

GAULTIER.

C’est un prestige ! c’est un enfer !

BURIDAN.

N’est-ce pas, quand on est près d’elle, quand elle vous parle d’amour, n’est-ce pas qu’il est doux de passer la main dans ses longs cheveux qu’elle laisse si voluptueusement flotter ; d’en couper une tresse comme celle-ci ?

(Il lui montre une tresse de cheveux enfermée dans la boîte.)
GAULTIER.

C’est son écriture !… la couleur de ses cheveux !… Dis-moi que tu lui as volé cette lettre ; dis-moi que tu lui as coupé ces cheveux par surprise.

BURIDAN.

Tu le lui demanderas à elle-même : je t’ai promis de te la faire voir.

GAULTIER.

À l’instant ! à l’instant !

BURIDAN.

Mais peut-être n’est-elle pas encore au rendez-vous.

GAULTIER.

Un rendez-vous !… Qui a un rendez-vous avec elle ?… Nomme-moi celui-là… Oh ! j’ai soif de son sang et de sa vie.

BURIDAN.

Ingrat ! et si celui-là t’y cédait sa place ?

GAULTIER.

À moi ?

BURIDAN.

Si, soit lassitude pour lui, soit compassion pour toi, il ne veut plus de cette femme : s’il te la cède ; s’il te la rend ; s’il te la donne ?

GAULTIER, tirant son poignard.

Ah ! malédiction !…

BURIDAN.

Jeune homme !…

GAULTIER.

Oh ! mon Dieu !… pitié !

BURIDAN.

Il est huit heures et demie ; Marguerite attend : Gaultier, la feras-tu attendre ?

GAULTIER.

Où est-elle ? où est-elle ?

BURIDAN.

À la tour de Nesle !

GAULTIER.

Bien.

(Il va pour sortir.)
BURIDAN.

Tu oublies la clef.

GAULTIER.

Donne.

BURIDAN.

Un mot encore.

GAULTIER.

Dis.

BURIDAN.

C’est elle qui a tué ton frère.

GAULTIER.

Damnation !…

(Il disparaît.)



Scène IV


BURIDAN, puis LANDRY.
BURIDAN, seul

C’est bien, va la rejoindre, et perdez-vous l’un par l’autre ; c’est bien. Si Savoisy est aussi exact qu’eux, il fera d’étranges prisonniers. Maintenant une seule chose me reste à savoir… ce que sont devenus ces deux malheureux enfants. Oh ! si je les avais pour leur faire partager ma fortune et m’appuyer sur eux ! Landry sera bien fin si je ne parviens à apprendre de lui ce qu’ils sont devenus. Le voilà.

LANDRY.

Vous avez encore quelque chose à me dire, capitaine ?

BURIDAN.

Oh ! rien. Dis-moi, combien faut-il de temps à ce jeune homme pour aller d’ici à la tour de Nesle ?

LANDRY.

Vu qu’il ne se trouvera pas de bateau maintenant, il faudra qu’il remonte jusqu’au Pont-aux-Moulins ; c’est une demi-heure à peu près.

BURIDAN.

C’est bien, mets ce sablier sur cette table ; je voulais causer de notre ancienne connaissance, Landry, de nos guerres d’Italie : ajoute un verre et assieds-toi.

LANDRY.

Oui, oui, c’étaient de rudes guerres et un bon temps ; les jours se passaient en bataille et les nuits en orgie. Vous rappelez-vous, capitaine, les vins de ce riche prieur de Gênes, dont nous bûmes jusqu’à la dernière goutte ? ce couvent de jeunes filles dont nous enlevâmes jusqu’à la dernière nonne ?