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dans ses yeux, lorsqu’ils ne se détournaient pas assez rite… Mais je puis me tromper… elle me fuit, et jamais je ne suis parvenu à me trouver seul avec elle.

RUGGIERI.

Et si tu y réussissais enfin ?

SAINT-MÉGRIN.

Cela étant, de par le ciel !… son premier mol m’apprendrait ce que j’ai à craindre ou à espérer.

RUGGIERI.

Eh bien ! viens et regarde dans cette glace… On l’appelle le miroir de réflexion… Quelle est la personne que tu désires y voir ?

SAINT-MÉGRIN.

Elle, mon père !…

(Pendant qu’il regarde, l’alcôve s’ouvre derrière lui et laisse apercevoir
xxxxxxla duchesse de Guise endormie.)

RUGGIERI.

Regarde.

SAINT-MÉGRIN.

Dieu !… vrai Dieu !… c’est elle !… elle endormie ! Ah ! Catherine ! — (L’alcôve se referme.) Catherine ! rien : — (Regardant derrière lui) rien non plus par ici… tout a disparu ; c’est un rêve, une illusion… Mon père, que je la voie… que je la voie encore !…

RUGGIERI.

Elle dormait, dis-tu ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui…

RUGGIERI.

Écoute : c’est surtout pendant le sommeil que notre pouvoir est plus grand… Je puis profiter du sien pour la transporter ici.

SAINT-MÉGRIN.

Ici, près de moi ?

RUGGIERI.

Mais, une fois réveillée, rappelle-toi que toute ma puissance ne peut rien contre sa volonté…

SAINT-MÉGRIN.

Bien ; mais hâtez-vous, mon père… hâtez-vous…

RUGGIERI.

Prends ce flacon ; il suffira de le lui faire respirer pour qu’elle revienne à elle…

SAINT-MÉGRIN.

Oui, oui, mais hâtez-vous…

RUGGIERI.

T’engages-tu par serment à ne jamais révéler… ?

SAINT-MÉGRIN.

Sur la part que j’espère dans le paradis, je vous le jure…

RUGGIERI.

Eh bien ! lis cette conjuration. — (Tandis que Saint-Mégrin parcourt quelques lignes du livre ouvert par Ruggieri, l’alcôve s’ouvre derrière lui ; un ressort fait avancer le sofa dans la chambre, et la boiserie se referme.) Et maintenant, regarde.

(Il sort.)



Scène V.


SAINT-MÉGRIN, LA DUCHESSE DE GUISE.
SAINT-MÉGRIN.

Elle !… c’est elle !… la voilà… — (Il s’élance vers elle, puis s’arrête tout à coup.) J’ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la ressemblance d’une personne vivante. Si… Que Dieu me protège ! — (Il fait le signe de la croix.) Ah !… rien ne change… Ce n’est donc pas un prestige, un rêve du ciel… oh ! son cœur bat à peine !… sa main… elle est glacée !… Catherine, réveille-toi : ce sommeil m’épouvante ! Catherine… elle dort… que faire ?… ah ! ce flacon… j’oubliais… ma tête est perdue !…

(Il le lui fait respirer.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Ah !…

SAINT-MÉGRIN.

Oui, oui… respire… lève-toi… parle, parle !… j’aime mieux entendre ta voix, dût-elle me bannir à jamais de ta présence, que de te voir dormir de ce sommeil froid.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ah ! que je suis faible !… — (Elle se lève, en s’appuyant sur la tête de Saint-Mégrin qui est à ses pieds.) J’ai dormi longtemps… Mes femmes… comment s’appellent-elles ?… — (Apercevant Saint-Mégrin.) Ah ! c’est vous, comte !

(Elle lui tend la main.)
SAINT-MÉGRIN.

Oui… oui…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Vous !… mais pourquoi vous ? ce n’était pas vous que j’étais habituée à voir à mon réveil… Mon front est si lourd, que je ne puis y rassembler deux idées…

SAINT-MÉGRIN.

Oh ! Catherine, qu’une seule s’y présente, qu’une seule y reste !… Celle de mon amour pour toi…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oui… oui… vous m’aimez… oh ! depuis longtemps, je m’en suis aperçue… et moi aussi, je vous aimais, et je vous le cachais… Pourquoi donc ?… il me semble pourtant qu’il y a bien du bonheur à le dire !