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sons, et passé sept mille habitants au fil de l’épée.

HENRI, se levant.

Par la mort-Dieu ! si ce que vous dites là est vrai, il faut châtier les huguenots au dedans et les Espagnols au dehors. Nous ne craignons pas la guerre, mon beau cousin ; et, s’il le fallait, nous irions nous-même sur le tombeau de notre aïeul Louis IX saisir l’oriflamme, et nous marcherions à la tête de notre armée, au cri de guerre de Jarnac et Moncontour.

SAINT-MÉGRIN.

Et si l’argent vous manque, sire, votre brave noblesse est là, pour rendre à Votre Majesté ce qu’elle a reçu d’elle. Nos maisons, nos terres, nos bijoux peuvent se monnayer, monsieur le duc ; et, vive Dieu ! en fondant les seules broderies de nos manteaux et les chiffres de nos dames, nous aurions de quoi envoyer à l’ennemi, pendant toute une campagne, des balles d’or et des boulets d’argent.

HENRI.

Vous l’entendez, monsieur le duc ?

LE DUC DE GUISE.

Oui, sire. Mais avant que cette idée vint à M. le comte de Saint-Mégrin, trente mille de nos braves sujets l’avaient eue ; ils s’étaient engagés par écrit à fournir de l’argent au trésor et des hommes à l’armée ; ce fut le but de la sainte Ligue, sire, et elle le remplira, lorsque le moment en sera venu… Mais je ne puis cacher à Votre Majesté les craintes qu’éprouvent ses fidèles sujets, en ne la voyant pas reconnaître hautement cette grande association,

HENRI.

Et que faudrait-il faire pour cela ?

LE DUC DE GUISE.

Lui nommer un chef, sire, un chef d’une maison souveraine, digne de sa confiance et de son amour, par son courage et sa naissance, et qui surtout ait assez fait ses preuves comme bon catholique pour rassurer les zélés sur la manière dont il agirait dans les circonstances difficiles…

HENRI.

Par la mort-Dieu ! monsieur le duc, je crois que votre zèle pour notre personne royale est tel, que vous seriez tout prêt à lui épargner l’embarras de chercher bien loin ce chef… Nous y penserons à loisir, mon beau cousin, nous y penserons à loisir.

LE DUC DE GUISE.

Mais Votre Majesté devrait peut-être à l’instant…

HENRI.

Monsieur le duc, quand je voudrai entendre un prêche, je me ferai huguenot… Messieurs, c’est assez nous occuper des affaires de l’État, songeons un peu à nos plaisirs. J’espère que vous avez reçu nos invitations pour ce soir, et que madame de Guise, madame de Montpensier, et vous, mon cousin, voudrez bien embellir notre bal masqué.

SAINT-MÉGRIN, montrant la cuirasse du duc.

Votre Majesté ne voit-elle pas que monsieur le duc est déjà en costume de chercheur d’aventures…

LE DUC DE GUISE.

Et de redresseur de torts, monsieur le comte.

HENRI.

En effet, mon beau cousin, cet habit me parait bien chaud pour le temps qui court.

LE DUC DE GUISE.

C’est que, pour le temps qui court, sire… mieux vaut une cuirasse d’acier qu’un justaucorps de satin.

SAINT-MÉGRIN.

Monsieur le duc croit toujours entendre la balle de Poltrot siffler à ses oreilles.

LE DUC DE GUISE.

Quand les balles m’arrivent en face, M. le comte, (Montrant sa blessure à la joue.) voilà qui fait foi que je ne détourne pas la tête pour les éviter.

JOYEUSE, prenant sa sarbacane.

C’est ce que nous allons voir…

SAINT-MÉGRIN, lui arrachant la sarbacane.

Attends !… il ne sera pas dit qu’un autre que moi en aura fait l’expérience. — (Lui envoyant une dragée au milieu de la poitrine.) À vous, M. le duc.

TOUS.

Bravo, bravo !

LE DUC DE GUISE, portant la main à son poignard.

Malédiction !

(Saint-Paul l’arrête.)
SAINT-PAUL.

Qu’allez-vous faire ? …

HENRI.

Par la mort-Dieu ! mon cousin de Guise, j’aurais cru que cette belle et bonne cuirasse de Milan était à l’épreuve de la balle…

LE DUC DE GUISE.

Et vous aussi, sire !… qu’ils rendent grâce à la présence de Votre Majesté.

HENRI.

Oh ! qu’à cela ne tienne, monsieur le duc, qu’à cela ne tienne, agissez comme si nous n’y étions pas…

LE DUC DE GUISE.

Votre Majesté permet donc que je descende jusqu’à lui ?

HENRI.

Non, monsieur le duc ; mais je puis l’élever jusqu’à vous… Nous trouverons bien dans notre beau royaume de France quelque duché vacant, pour en doter notre fidèle sujet le comte de Saint-Mégrin.

LE DUC DE GUISE.

Vous en êtes le maître, sire… mais d’ici là…