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HENRI.

La maison de Lorraine remonterait à Charlemagne !… Cela n’est pas, vous savez bien que cela n’est pas.

CATHERINE.

Vous voyez que les mesures sont prises pour qu’on croie que cela est.

HENRI.

Ah ! notre cousin de Guise, vous en voulez terriblement à notre couronne de France…. Ma mère, est-ce qu’on ne pourrait pas lui donner celle des martyrs ?

CATHERINE.

J’y ai souvent pensé, mon fils ; mais « ce n’est pas le tout de couper, il faut recoudre. »

HENRI.

Mais il se bat demain avec Saint-Mégrin… Saint-Mégrin est brave et adroit.

CATHERINE.

Et croyez-vous que le duc de Guise soit moins brave et moins adroit que lui ?

HENRI.

Ma mère, si nous faisions bénir l’épée de Saint-Mégrin ? …

CATHERINE.

Mon fils, si le duc de Guise fait bénir la sienne ?…

HENRI.

Vous avez raison… Mais qui m’empêche de nommer Saint-Mégrin chef de la Ligue ?

CATHERINE.

Eh ! qui voudra le reconnaître ?… A-t-il un parti ?…

HENRI.

Vous avez encore raison… Ô mon Dieu… mon Dieu !… est-ce que vous croyez qu’on est bien malheureux dans un cloître ?…

CATHERINE.

Non, mon fils ; lorsqu’une vocation véritable nous y appelle…

HENRI.

Oui, mais moi, ma mère, je ne me sens pas cette vocation ; elle viendra peut-être un jour ; … mais il faut trouver un moyen pour que ce soit le plus tard possible… Sans doute, il n’attend que le moment où je l’aurai nommé chef de cette infâme Ligue pour se déclarer.

CATHERINE.

Il est probable que c’est son intention.

HENRI.

Eh bien ! que faire ?

CATHERINE.

Est-ce une faible femme comme moi qui peut venir à votre secours, mon fils ? D’ailleurs, quel pouvoir aurai-je de le faire ? c’est vous qui avez puissance et volonté… Du courage, mon fils, régnez par vous-même ; c’est un conseil que vous a souvent donné M. le comte de Saint-Mégrin, et il est de bon conseil.

HENRI.

Oh ! ma mère, ma mère ! ils me rendront fou, et puis ils diront que je suis incapable de régner. M. de Guise… il y est poussé, ma mère, poussé par madame de Montpensier, parce que j’ai blessé son amour-propre. Oui, j’ai des forces, des moyens. Si mon peuple m’aimait… Mais pourquoi donc mon peuple ne m’aime-t-il pas, ma mère ? Je voudrais pourtant bien le rendre heureux ; j’y réussirai plus tard. Un cloître… un cloître… ah ! ne l’ai-je pas dit tout haut, quand, à mon sacre, ils m’ont posé la couronne sur la tête, que cette couronne me blessait… et quand, deux fois, elle a failli tomber pendant la cérémonie, n’ai-je pas dit encore que c’était de mauvais augure. Un cloître !… Les hérétiques !… Ils me tueront plutôt, ma mère ; je mourrai roi. Ne m’ont-ils pas vu combattre à Jarnac et à Moncontour ? Oh ! s’il ne s’agissait que de combattre à la tête de ma brave noblesse ; … mais il faut ici repousser l’intrigue par l’intrigue, et je le sens, ils sont plus forts que moi.

CATHERINE.

Peut-être y aurait-il moyen de tout conjurer, mon fils : mais il faudrait de la résolution.

HENRI, hésitant.

De la résolution ?

CATHERINE.

Oui, soyez roi, et le duc deviendra sujet soumis, sinon respectueux. Je le connais mieux que vous, Henri ; il n’est fort que parce que vous êtes faible ; sous son énergie apparente, il cache un caractère irrésolu… C’est un roseau peint en fer… Appuyez, il pliera.

HENRI.

Oui, oui, il pliera. Mais quel est ce moyen ? Voyons… faut-il les exiler tous les deux ? je suis prêt à signer leur exil.

CATHERINE.

Non ; peut-être en ai-je un autre… mais jurez-moi qu’à l’avenir vous me consulterez avant eux sur tout ce que vous voudrez faire.

HENRI.

N’est-ce que cela, ma mère ? je vous le jure.

CATHERINE.

Mon fils, les serments prononcés devant l’autel sont plus agréables à Dieu.

HENRI.

Et lient mieux les hommes, n’est-ce pas ? Eh bien ! venez, ma mère, je m’abandonne entièrement à vous. Passons dans mon oratoire.

CATHERINE.

Oui, mon fils, passons dans votre oratoire.