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LA DUCHESSE DE GUISE.

Ruggieri ?… Dites-moi, Ruggieri ne demeure-t-il pas rue de Grenelle, près l’hôtel Soissons ?

MARIE.

Oui.

LA DUCHESSE DE GUISE, à part.

Plus de doute… c’était chez lui… J’avais cru le reconnaître… (Haut.) N’est-il venu aucune autre personne ?

MADAME DE COSSÉ.

Si… M. Brantôme, pour vous offrir le volume de ses Dames Galantes… Je l’ai déposé sur cette table… La reine de Navarre y joue un grand rôle… Et puis, M. Ronsard est aussi venu… il voulait absolument vous voir. Vous lui avez reproché l’autre jour, chez madame de Montpensier, de ne pas assez soigner ses rimes, et il vous apportait une petite pièce de vers.

LA DUCHESSE DE GUISE, avec distraction.

Sur la rime…

MADAME DE COSSÉ.

Non ; mais mieux rimée qu’il n’a coutume de le faire. Madame la duchesse veut-elle les entendre ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Donnez à Arthur, il les lira.

ARTHUR, s’asseyant ans pieds de la duchesse et lisant.


Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avait desclose
Sa robe de pourpre au soleil,
N’a point perdu cette vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint an vôtre pareil.

Las ! Voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a, dessus la place,
Là, là, ses beautés laissé cheoir.
Ô vrayment, marastre nature !
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir.

Or donc, écoutez-moi, Mignonne :
Tandis que votre âge fleuronne
Dans sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse ;
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

LA DUCHESSE, toujours distraite.

Mais il me semble qu’ils sont bien, ces vers.

ARTHUR.

Oh ! M. de Saint-Mégrin en fait au moins d’aussi jolis…

LA DUCHESSE DE GUISE.

M. de Saint-Mégrin ?…

MADAME DE COSSÉ.

Ce ne sont pas des vers amoureux, toujours…

ARTHUR.

Et pourquoi cela ?

MADAME DE COSSÉ.

Il est probable qu’il n’a encore trouvé aucune femme digne de son amour, puisqu’il est le seul, parmi tous les jeunes gens de la cour, qui ne porte pas le chiffre de sa dame sur son manteau.

ARTHUR.

Et s’il aimait quelqu’un dont il ne pût pas porter le chiffre ?… Cela peut être.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oui… cela peut être.

MADAME DE COSSÉ, à Arthur.

Mais qu’a donc de si remarquable ce petit comte de Saint-Mégrin, pour être l’objet de votre enthousiasme ?

ARTHUR.

Si remarquable !… Ah ! je ne demande rien que d’être digne de devenir son page, quand je ne pourrai plus être celui de ma belle cousine.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Tu l’aimes donc bien ?…

ARTHUR.

Si j’étais femme, je n’aurais pas d’autre chevalier.

LA DUCHESSE DE GUISE, vivement.

Mesdames… je puis achever seule ma toilette ; je vous rappellerai, si j’ai besoin de vous… Reste, Arthur, reste ; j’ai quelques commissions à te donner.


Scène III.


LA DUCHESSE DE GUISE, ARTHUR.
ARTHUR.

J’attends vos ordres.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Bien ; mais je ne sais plus ce que j’avais à te dire. Je suis distraite, préoccupée… Que tu es bizarre, avec ton fanatisme pour ce jeune vicomte de Joyeuse !

ARTHUR.

Joyeuse… Non… Saint-Mégrin.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ah ! oui… c’est vrai ; mais que trouves-tu de si extraordinaire en ce jeune homme ?… Moi je cherche en vain.

ARTHUR.

Vous ne l’avez donc pas vu courir la bague avec le roi ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Si.

ARTHUR.

Et qui donc pourriez-vous lui comparer pour son adresse ? S’il monte à cheval, c’est toujours le