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ACTE I



Tableau 1

Au lever du rideau, le théâtre est dans l’obscurité : aucun acteur n’est en scène, excepté le bon Ange et le mauvais Ange de la famille de Marana, placés sur un piédestal, à la droite des spectateurs. Le mauvais Ange est renversé sur le dos, dans l’attitude d’un vaincu le bon Ange est debout près de lui, le glaive à la main et un pied sur sa poitrine. Ils doivent avoir l’apparence d’un groupe de bois sculpté et peint.



Scène I

Le mauvais Ange, le bon Ange.

LE MAUVAIS ANGE.

Ô toi que le Seigneur a commis à ma garde,
Baisse un instant les yeux, archange, et me regarde !…
Depuis que mon orgueil, contre Dieu, vainement
Entreprit de lutter, et que, pour châtiment,
Me suivant au plus bas de ma chute profonde,
Tu posas sur mon sein ton pied lourd comme un monde,
Tant de jours ont pour moi renouvelé leur cours,
Tant de nuits ont passé, plus longues que les jours,
Et les heures des nuits et des jours avec elles
Ont mené lentement tant de douleurs mortelles,
Que je crois que du Dieu que j’avais offensé
Le courroux, à la fin, se doit être lassé,
Puisqu’il souffre aujourd’hui que ma bouche de pierre
Se ranime à la plainte et s’ouvre à la prière !…
Donc, je te prie, au nom miséricordieux
Du Seigneur, je te prie, archange radieux,
Je te prie, au doux nom de la vierge Marie,
Au saint nom de Jésus, archange, je te prie,
De soulever ton pied de mon sein condamné ;
Car c’est trop de douleurs, même pour un damné !…


LE BON ANGE.

C’est une volonté plus forte que la nôtre
Qui, dans les jours passés, nous lia l’un à l’autre,
Et nous en subirons les ordres absolus,
Jusqu’à ce que pour nous les jours soient révolus.
Or, je ne sais quel temps doit durer ton martyre,
Mais voici ce que Dieu me permet de te dire :
Sur ce marbre, celui dont la main t’enchaîna
Est le comte Don Juan, seigneur de Marana,
Tige des Marana, dont l’illustre famille
Fut, depuis trois cents ans, l’honneur de la Castille.
Or, lorsque son esprit eut quitté ce bas lieu,
Saint Pierre le reçut et le mena vers Dieu,
Qui, lui tendant les bras, lui dit : « Comme un archange,
Vous avez, ô Don Juan, vaincu le mauvais ange ;
Vous pouvez disposer de son sort aujourd’hui ;
Dites ce qu’il vous plaît qu’il advienne de lui. »
À cette grande voix, le pieux solitaire
Tomba les deux genoux et le visage en terre,
Puis, ayant adoré l’Éternel, répondit :
« Seigneur, Seigneur, Seigneur, faites que le maudit
Ne puisse plus tenter, de sa parole immonde,
Ni mon fils, ni les fils qu’il doit laisser au monde.
Car je sais trop, Seigneur, lorsqu’il vous vient tenter,
Combien le cœur de l’homme est faible à résister ;