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LE DUC DE GUISE.

Oui, madame ; sans doute vous jugez en vous-même que ce ne serait qu’une faible expiation. D’ailleurs, l’espoir vous suivrait au delà de la grille ; il n’est point de murs si élevés qu’on ne puisse franchir, surtout si on y est aidé par un chevalier adroit, puissant et dévoué. Non, madame, non, je ne vous laisserai pas cette chance ; mais revenons à cette lettre, il faut qu’elle s’achève.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Jamais, monsieur, jamais.

LE DUC DE GUISE.

Ne me poussez pas à bout, madame : c’est déjà beaucoup que j’aie consenti à vous menacer deux fois.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Eh bien ! je préfère une réclusion éternelle.

LE DUC DE GUISE.

Mort et damnation ! croyez-vous donc que je n’aie que ce moyen ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Et quel autre ? — (Le duc verse le contenu d’un flacon dans une petite coupe.) Ah ! vous ne voudriez pas m’assassiner… Que faites-vous, monsieur de Guise, que faites-vous ?

LE DUC DE GUISE.

Rien… j’espère seulement que la vue de ce breuvage aura une vertu que n’ont point mes paroles.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Eh quoi !… vous pourriez !… ah !

LE DUC DE GUISE.

Écrivez, madame, écrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Non, non. Ô mon Dieu ! mon Dieu !

LE DUC DE GUISE, saisissant la coupe.

Eh bien !…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Henri, au nom du ciel ! je suis innocente, je vous le jure… Que la mort d’une faible femme ne souille pas votre nom. Henri, ce serait un crime affreux, car je ne suis pas coupable ; j’embrasse vos genoux ; que voulez-vous de plus ? Oui, oui, je crains la mort.

LE DUC DE GUISE.

Il y a un moyen de vous y soustraire.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Il est plus affreux qu’elle encore… Mais non, tout cela n’est qu’un jeu pour m’épouvanter. Vous n’avez pas pu avoir, vous n’avez pas eu cette exécrable idée.

LE DUC DE GUISE, riant.

Un jeu, madame !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Non… Votre sourire m’a tout dit…

(Elle abaisse la tête entre ses mains, et prie.)
LE DUC DE GUISE.

Êtes-vous décidée ?

LA DUCHESSE DE GUISE, se relevant seule.

Je le suis.

LE DUC DE GUISE.

À l’obéissance ?

LA DUCHESSE DE GUISE, prenant la coupe.

À la mort !

LE DUC DE GUISE, lui arrachant la coupe et la jetant.

Vous l’aimiez bien, madame !… Elle a préféré… Malédiction ! malédiction ! sur vous et sur lui… sur lui surtout qui est tant aimé !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Malheur ! malheur à moi ! car mes forces sont épuisées.

LE DUC DE GUISE.

Oui, malheur, car il est plus facile à une femme d’expirer que de souffrir. — (Lui saisissant le bras avec son gant de fer.) Écrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oh ! laissez-moi.

LE DUC DE GUISE.

Écrivez !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Vous me faites mal, Henri.

LE DUC DE GUISE.

Écrivez, vous dis-je !

LA DUCHESSE DE GUISE, essayant de dégager son bras.

Vous me faites bien mal, Henri ; vous me faites horriblement mal… Grâce ! grâce ! ah !

LE DUC DE GUISE.

Écrivez donc.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Le puis-je ? Ma vue se trouble… Une sueur froide… ô mon Dieu ! mon Dieu ! je te remercie, je vais mourir.

(Elle s’évanouit.)
LE DUC DE GUISE.

Eh ! non, vous ne mourrez pas.

(Il lui fait respirer un flacon.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Qu’exigez-vous de moi ?

LE DUC DE GUISE.

Que vous m’obéissiez.

LA DUCHESSE DE GUISE, accablée.

J’obéis. Mon Dieu ! tu le sais, j’ai bravé la mort… la douleur seule m’a vaincue ; je l’ai supportée autant qu’une faible femme pouvait le faire… Elle a été au delà de mes forces. Tu l’as permis, ô mon Dieu ! le reste est entre tes mains.

LE DUC DE GUISE, dictant.

L’appartement de madame la duchesse de Guise