Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/581

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i une fois ce qu’elle me montrera du doigt, deux fois ce qu’elle me demandera des yeux, et trois fois ce qu’elle exigera des lèvres.

CAROLINA.

Tu es magnifique, seigneur Don Juan ; mais je serai encore plus généreuse que toi…

Je ne veux pas que tu me donnes, je veux que tu me rendes.

DON JUAN.

Si j’étais roi, voilà un baiser qui me coûterait une province.

CROLINA.

Mais, comme tu n’es que comte, je me contenterai d’un de tes châteaux. Combien en as-tu ?

DON MANUEL.

Il n’en sait pas le nombre.

DON JUAN.

Non ; seulement, ils sont à moi comme les Espagnes sont à l’infant.

CAROLINA.

C’est égal, je te prête dessus.

L’infant deviendra roi.

DON JUAN, l’embrassant.

C’est chose dite, j’emprunte.

DON CHRISTOVAL.

Tu oublies que la moitié des biens que tu engages appartiennent à Don Josès.

DON JUAN, négligemment.

Qu’est-ce que Don Josès ?

DON MANUEL.

Mais ton frère aîné, ce me semble.

DON JUAN.

Ah ! Oui. Eh bien, si j’ai un conseil d’ami à lui donner, à ce frère, c’est de trouve un juif qui lui achète son droit d’aînesse pour un plat de lentilles ; le juif sera volé.

JUANA.

Mais il est donc décidé à vivre toujours, le vieux comte ?

DON JUAN.

Tiens, ne m’en parle pas, Juana ; tu as peut-être entendu dire qu’il y a un Père éternel au ciel, n’est-ce pas ? Eh bien, je crois, Dieu me pardonne ! qu’il est descendu sur la terre. UN DOMESTIQUE,, levant la portière de la chambre à gauche du spectateur.

Monseigneur Don Juan, votre père se meurt.

DON JUAN.

Et il m’envoie chercher ?

LE DOMESTIQUE,, traversant la scène.

Non ; il a entendu vos éclats de rire, et il ne veut pas vous attrister ; il envoie chercher son confesseur Don Mortès.

DON CHRISTOVAL, se levant.,

Adieu, Don Juan ; nous ignorions la maladie du vieux Comte, et nous demandons pardon à Dieu d’avoir blasphémé dans une maison qui appartenait à la mort.

JUANA.

Adieu, Don Juan ; tu es un impie, et tu perdrais l’âme d’une sainte en soufflant dessus.

CAROLINA.

Adieu, Don Juan ; j’espère que Dieu me pardonnera dans l’autre monde de t’avoir aimé un instant dans celui-ci.

DON JUAN.

Surtout si nous faisons pénitence ensemble. Prenons jour.

CAROLINA.

Jamais !

DON JUAN.

Alors, je t’attendrai de huit à neuf heures du matin, à la petite maison du parc.

CAROLINA, souriant.

J’y serai.

DON JUAN.

Et toi, Vittoria, tu ne me dis rien ?

VITTORIA.

Si fait ; je te dis que, tel que tu es, Don Juan, maudit et damné d’avance, je t’aime ; et je te dis encore que, si Carolina vient au rendez-vous que tu lui donnes, foi d’Espagnole, je la tuerai.

DON JUAN.

Adieu, ma charmante.

Éclairez.


Scène II

I. Le bon Ange, le mauvais Ange, Don Juan.

DON JUAN.

Adieu, jeunes fous et belles courtisanes, qui jouez comme des enfants avec des baisers et des poignards, sans savoir ce qu’on en peut faire ; partez avec vos flambeaux, vos rires et votre bruit, et laissez-moi seul et dans l’obscurité : mes pensées ont besoin de silence et de ténèbres. Puissent, cette nuit, mes richesses, mes châteaux et mes titres ne pas s’évanouir comme vous !… Mon père ne me demande pas, je m’en doutais ; il demande Don Mortès, je m’en doutais encore. Il faut que ce prêtre passe par ici pour entrer dans la c