Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/595

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iel !
Il est vrai que les saints riraient de leur conquête
S’ils te voyaient, jetant ta couronne de fête,
Quitter la table avant qu’arrive le dessert ;
Et, la lèvre de vin et de baisers rougie,
Te lever au milieu de ta royale orgie,
Pour aller adorer le Seigneur au désert.


Scène V

II. Don Juan, Paquita.

PAQUITA, rentrant.

Encore ici, Monseigneur !…

DON JUAN.

Oui, je t’attendais pour te dire une chose.

PAQUITA.

Laquelle ?

DON JUAN.

Que jamais fiancé n’est venu plus à temps…

PAQUITA.

Pour reprendre sa maîtresse ?

DON JUAN.

Non, pour se voir enlever sa femme.

PAQUITA, le suivant des yeux.

Si cet homme n’est pas le démon, c’est au moins la créature humaine qui lui ressemble le plus.


Scène V

III. Teresina, Don Josès, Paquita, au fond.

TERESINA, appuyée au bras de Don Josès.

Oh ! Josès, Josès, vous voilà donc ! Dieu soit béni ! Car je suis bien heureuse de votre retour !

DON JOSÈS.

Vous faites un amant bien joyeux d’un fils bien triste, Teresina ! Oui, je suis revenu en toute hâte ; je ne sais quel pressentiment me poussait vers Villa-Mayor. À peine eus-je scellé la porte du tombeau sur le corps de mon noble père, qu’une voix surhumaine murmura votre nom à mon oreille avec des sons d’une tristesse étrange ; je crus que le bon ange de notre famille venait m’avertir que vous couriez quelque danger… J’accourus.

TERESINA.

Merci, vous ne vous êtes pas trompé, Don Josès ; la voix vous disait vrai, et votre retour m’a sauvée !

DON JOSÈS, souriant.

Et quel péril si grand poursuivait donc ma belle Teresina ? Les antiques châtelaines de Villa-Mayor étaient-elles jalouses de voir leur palais habité par une si jeune et si belle héritière ?

TERESINA.

Non, mon ami, elles m’eussent plutôt protégée, je crois, en faveur de mon amour pour vous. Ce ne sont point les morts, ce sont les vivants qui sont à craindre.

DON JOSÈS.

Comment cela ?

TERESINA.

Hier, un voyageur est venu demander l’hospitalité à la porte de ton château.

DON JOSÈS.

On la lui a accordée, je l’espère ?

TERESINA.

Oui ; mais il a désiré me remercier.

DON JOSÈS.

À sa place, j’eusse eu le même désir, surtout si j’avais seulement vu l’ombre de la châtelaine… Tu as reçu sa visite ?

TERESINA.

Non, je l’ai refusée ; alors il m’a envoyé un écrin plein de bijoux, adressé à la fiancée de Don Josès.

DON JOSÈS.

C’est d’un seigneur magnifique et d’un hôte reconnaissant. Et ces bijoux ?

TERESINA.

Les voici. J’avais donné ordre à Paquita de les lui reporter ce matin. Mais je suis femme, Don Josès, vous me pardonnerez, n’est-c e pas ? Et, faible devant une pareille séduction… Voyez comme ces diamants sont beaux !… Avant de les lui renvoyer, j’ai voulu essayer comment une telle parure m’irait… Eh bien… Oh ! Il faut que ces bijoux soient enchantés, car à peine ont-ils été sur mon front, sur mon cou, qu’un nuage a passé sur mes yeux, que toutes mes idées ont été perdues, qu’une voix est venue bruire à mon oreille, me parlant de titres, de richesses, de triomphes. Quand je suis revenue de ce délire, cet homme, cet étranger, ce démon tentateur était là, à mes genoux, à mes pieds… J’ai résisté, Don Josès ; mais il y avait un accent infernal, une magie enivrante, un entraînement fascinateur dans tout ce qu’il disait… J’ai résisté ; mais, si je l’avais vu une seconde fois…

Mais vous voilà, Don Josès !… Et je suis forte, car vous ne m’exposerez plus par votre absence, n’est-ce pas ?

DON JOSÈS, les yeux fixes.

Il n’y a qu’un homme dans toutes les Espagnes à qui Satan ait accordé ce pouvoir, Teresina… Comment appelez-vous cet étranger ?

TERESINA.

Don Juan.

DON JOSÈS.

C’est lui !… Voilà donc pourquoi il a quitté le lit mortuaire de mon père ! Voilà pourquoi il m’a laissé descendre seul le noble et bon vieillard dans la tombe ! voilà pourquoi il n’a pas même demandé quel était l’assassin de cette courtisane don