Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/609

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arrêtant.

Où allez-vous ?

INÈS.

M’assurer que c’est lui et non pas un autre.


Scène IX.

DON JUAN, seul.

Va donc, Inscènea… Car c’est bien lui !

Allons, Don Juan… Qu’est-ce donc ? Ce n’était qu’un homme, après tout… Oui, mais un de ces hommes de bronze comme la nature en coule un sur mille… Eh bien, tant mieux ! cet homme eût été pour ma renommée un rival trop dangereux… Fatalité, qui l’a jeté sur ma route ! Allons, allons… C’est un rival de moins et une maîtresse de plus.

Venez, ma charmante !


Scène X.

Don Juan, Inès.

DON JUAN.

Escènen, Sandoval ?…

INÈS, pâle et posant son flambeau sur la table.

Sommes-nous ici pour parler de lui ?

DON JUAN.

Vous avez raison, sur mon âme !… et vous êtes une noble Espagnole, et vous êtes belle, et je vous aime ! je vous aime ! Vous avez raison, la vie est si étrangement courte, qu’il faut mettre à profit ses heures, ses minutes, ses secondes… Vous avez raison, nous ne sommes point ici pour nous souvenir du passé, nous y sommes pour jouir du présent…

À nos amours, Inès !

INÈS.

À nos amours, Don Juan !

DON JUAN, le verre à la main.

Asseyez-vous… C’est une chose sainte que l’amour quand deux cœurs nés l’un pour l’autre fleurissent ensemble comme deux boutons sur une même tige… Mais c’est chose rare que ces amours juvéniles et transparentes, et nul ne peut dire, en voyant sourire une femme, que cet amour est exempt de perfidie…

C’est une bonne chose que le vin !… mais dans le meilleur, la main d’un ennemi peut traîtreusement verser du poison.

« Don Juan, me disait Sandoval en expirant, ne buvez jamais le vin versé par une maîtresse qui ne vous aime plus, ou qui ne vous aime pas encore, si cette maîtresse ne goûte pas le vin la première. » C’était un homme d’un grand sens que Sandoval ; qu’en dites-vous, Madame ?

Gomez !

Quel est ce vin ?

GOMEZ.

Du montilla.

DON JUAN.

Et celui que tu apportes dans cette bouteille ?

GOMEZ.

Du Valdepeñas.

DON JUAN, posant sur la table le verre empoisonné et en prenant un autre.

Verse du Valdepeñas, je le préfère.

Merci !

Allons !

Eh bien, qu’y a-t-il, mon amour ?

INÈS, se soutenant au dossier d’un fauteuil.

Rien ! Rien !

DON JUAN, se levant.

Rien, n’est-ce pas ? si ce n’est que Doña-Inès a pris, jusqu’à cette heure, Don Juan de Marana pour un écolier de Salamanque ou un étudiant de Murviedro, et qu’elle s’est dit à elle-même : « J’aurai bon marché de cet homme ; je vais lui faire tuer d’abord mon amant, qui m’a trahie, puis ensuite je m’empoisonnerai avec lui… » Il y a, du reste, grandeur et courage dans cette résolution… Mais je suis jeune, riche, noble : j’aime la vie et je ne veux pas mourir, moi…

Avez-vous des commissions pour ce monde, Madame ?

INÈS.

Oui, dites à ma sœur, qui est une sainte fille du couvent de Notre-Dame du Rosaire, qu’elle ait à prier pour l’âme d’une pécheresse.

DON JUAN.

La chose sera fait en conscience ! J’étais embarrassé de trouver un prétexte pour entrer dans une de ces saintes maisons, et vous me le donnez…

Merci, Doña-Inès, merci !

INÈS, allant tomber près de la Madone.

Sainte mère de Dieu, ayez pitié