Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/613

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Notre-Dame du Rosaire qui la protége, que, vivante encore, elle y avait fait élever son tombeau ! Hélas, la mort a été bien vite jalouse de la vie ; et la tombe s’est lassée d’attendre !… Soyez béni, vous qui avez connu ma sœur !

DON JUAN.

Mais ne voulez-vous pas entendre ses dernières paroles ? Ce sont des paroles d’amour.

MARTHE, se rapprochant.

Oh ! Si, répétez-les-moi sans en oublier une seule et sans y changer une syllabe.

DON JUAN.

« Don Juan, m’a-t-elle dit, allez trouver ma sœur au couvent de Notre-Dame du Rosaire ; dites-lui qu’un cavalier m’avait insultée, et que vous m’avez vengée ; mais ajoutez que je n’ai pas voulu survivre à cette insulte, et annoncez-lui qu’elle est maintenant la seule héritière de mon bien et de mon titre. »

MARTHE.

Je vais donc avoir un sacrifice méritoire à faire à Dieu ; car, lorsque j’entrai dans ce couvent, j’étais la sœur cadette d’Inès, et notre père y paya ma dot, et voilà tout !

DON JUAN.

Et comptez-vous pour rien le sacrifice de vos quinze ans, d’un cœur qui n’avait pas encore battu, et d’une beauté qui rendrait le roi jaloux de Dieu ?

MARTHE, voulant s’éloigner.

Mon frère, il nous est défendu d’écouter des paroles mondaines.

DON JUAN.

Non pas lorsqu’elles sortent de la bouche mourante d’une sœur, et j’atteste son âme, qui nous écoute, que je répète ici ses dernières volontés. Elle me dit donc : « Don Juan, vous êtes un cavalier loyal, un ami sincère, un homme pieux, incapable d’égarer une jeune âme comme celle de ma sœur ; dites-lui donc en mon nom que, si elle se sent une vocation réelle pour la vie monastique…

… que, si jamais elle n’a soupiré en enfermant un corps si merveilleux sous une robe de bure ; que, si jamais elle n’a pleuré l’heure solennelle où ses blonds cheveux sont tombés sous le ciseau du prêtre ; alors, dites-lui qu’elle lègue ses biens au couvent, et qu’elle y reste à prier pour mon âme. »

MARTHE.

Hélas ! Hélas !

DON JUAN.

« Mais que, si, au contraire, le monde qu’elle a quitté lui est resté présent avec toutes ses promesses, tous ses enchantements, tous ses délices ; que, si son cloître lui paraît désert, sa cellule étroite, sa vie désenchantée, elle vous confie, à vous, mon ami, qui êtes instruit en matière de religion, ses ennuis, ses doutes, son espoir ; alors vous la conseillerez, n’est-ce pas ? » Je le lui ai promis. Eh bien, Marthe, au nom de votre sœur, votre frère vous interroge ; voyons.

MARTHE.

Oh ! Mon Dieu ! Ce sont des sentiments si inconnus que ceux que j’éprouve, des paroles si étranges que celles que j’entends, des visions si bizarres que celles qui m’apparaissent, que je n’ai point encore osé les avouer à notre directeur lui-même.

DON JUAN.

Pourquoi craindre ? Ces sentiments inconnus sont sans doute ceux de votre âge ? C’est le besoin d’aimer et d’être aimée ; ce sont les battements d’un cœur de dix-huit ans plein de sang espagnol ; c’est la perception encore vague de ces émotions délicieuses que l’amour éveillera plus tard dans votre âme ; ce sont des pressentiments d’un bonheur à venir qui vous semblent des souvenirs perdus d’un bonheur passé.

MARTHE.

Oh ! oui, oui, c’est cela.

DON JUAN.

Ces paroles étranges, c’est la voix du monde qui vous appelle ; elle vous dit : « Marthe, on m’a calomnié à tes yeux ; je ne suis point tel que l’on m’a peint à toi, plein de séductions trompeuses et infernales ; je ne suis point le chemin de perdition qui conduit au royaume de Satan : je suis un jardin de délices où la beauté est reine et commande. Viens, Marthe ! tes yeux se sont illuminés du feu de ton âme ; tes longs cheveux ont repoussé sous ta coiffe de religieuse ; ta taille d’enfant s’est développée sous la robe sainte ; à défaut de miroir, l’eau de la fontaine t’a dit que tu étais belle. Viens, Marthe, viens, un trône t’attend ! »

MARTHE.

Oh ! Oui, oui, et ces paroles, quand je les entends, c’est un délire.

DON JUAN.

Et, parmi ces visions bizarres, ne passe-t-il point parfois un jeune cavalier qui s’approche de vous et qui vous dit : « Marthe, ma bien-aimée, je t’ai vue depuis que ma jeunesse a des songes d’amour… Je te cherche dans le monde et je ne t’y rencontre pas !… Pourquoi te caches-tu dans l’ombre du cloître