Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/614

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au lieu de briller au soleil de nos cités ?… Fleur de beauté, tu dois éclore dans un jardin, et non sur une tombe… Viens, Marthe ! Franchis la porte de ton couvent ; elle donne sur le monde, c’est-à-dire sur le bonheur… Sur la vie… Sur l’amour. »

MARTHE.

Oh ! Mais c’est bien cela ! Par quelle magie devinez-vous ainsi mes plus secrètes pensées ?… Ce jeune homme surtout, cet habitant inconnu de mes nuits de fièvre et d’insomnie… qui vous a dit qu’il venait les visiter ?…

DON JUAN.

Qui me l’a dit, Marthe ? Qui me l’a dit ?… Oh ! Si vous ne me devinez pas, je suis bien malheureux.

MARTHE, le regardant.

Mon Dieu !

DON JUAN.

Je vous ai reconnue, moi… À l’instant où je vous vis, je me suis dit : « Celle que je cherche, la voilà !… La bien-aimée de mon cœur, la voilà !… la fiancée de mes rêves, la voilà ! C’est elle ! » Car vous avez passé dans mes nuits comme j’ai passé dans les vôtres, et, si j’ai éclairé votre sommeil, vous avez brûlé le mien.

MARTHE.

Eh bien, écoutez, écoutez à votre tour, et que Dieu me pardonne ; si je fais mal, je l’ignore… Mais c’est étrange, ce que je vais vous dire. Je ne vous avais jamais rencontré avant aujourd’hui, non, j’en suis sûre ; eh bien, cependant je vous ai reconnu ; il m’a semblé vous avoir vu déjà dans un autre monde, sinon dans celui-ci… Vous avez parlé, le son de votre voix m’a fait tressaillir et m’a inondée d’une mélodie familière à mon oreille ! Vous avez dit votre nom, Don Juan, ce nom… Certes, je ne connaissais aucun homme de ce nom !… Eh bien, il m’a semblé que c’était un nom familier à mon cœur, il m’a semblé que je l’avais prononcé déjà… Où, je ne sais… À quelle occasion, je l’ignore… Car il y a un voile entre mon corps et mon âme, car il me semble que j’obéis, en ce moment même, malgré moi, à un pouvoir surhumain qui me pousse vers vous, qui fait renaître d’anciennes pensées dans mon esprit, qui arrache du plus profond de mon cœur des paroles qui y dormaient oubliées… Don Juan, j’aime votre nom !… Don Juan, j’aime votre voix !… Don Juan…

Pardonnez-moi, mon Dieu ! Prenez pitié ! Ici, dans votre église, dans votre maison sainte, j’allais lui dire : « Don Juan, je vous aime ! »

DON JUAN.

Marthe, n’est-ce pas dans une église que ceux qui s’aiment font serment de s’aimer toujours ?

MARTHE.

Oui, lorsque leur amour n’est pas un crime.

DON JUAN.

Et quel amour, si nous le voulons, peut être plus pur et plus selon Dieu que le nôtre ?

MARTHE.

Oubliez-vous que je suis liée par des vœux éternels ?

DON JUAN.

Oubliez-vous qu’il y a un homme qui peut vous relever de ces vœux ?

MARTHE.

Le Saint-père !…

DON JUAN.

Nous irons le trouver, Marthe.

MARTHE.

Ensemble ?

DON JUAN.

Ensemble.

MARTHE.

Et comment ?

DON JUAN.

Vous fuirez.

MARTHE.

Avec mon amant ?

DON JUAN, lui passant un anneau au doigt.

Avec votre fiancé.

MARTHE, respirant.

Ah !

DON JUAN.

Nous lui dirons que, depuis longtemps, nous nous aimons, et c’est vrai ! Car nous nous aimons depuis le jour où nous avons rêvé l’un de l’autre. Nous nous jetterons à ses pieds, et il nous pardonnera et nous bénira, et nous aurons une vie de délices et d’amour, au lieu de cette vie triste et solitaire que nous avons eue jusqu’aujourd’hui.

MARTHE.

Et, à compter de ce jour, je suis votre fiancée.

DON JUAN.

Marthe, conduisez-moi devant la tombe de votre sœur.

MARTHE.

Non, Don Juan, non, ne mêlons pas le néant de la mort aux espérances de la vie… Vous m’avez engagé votre foi devant Dieu, Dieu a entendu votre serment, et cela suffit.

Voici la cloche qui nous appelle à la prière du soir ; si je ne m’y rendais pas, on s’apercevrait de mon absence…

DON JUAN.

Mais, aussitôt la prière finie ?…

MARTHE.

Je reviendrai… Mais vous, vous retrouverai-je ?

DON JUAN.

Oh ! Oui.

MARTHE.

Tant mieux ! Car, si je ne vous retrouve pas, je mourrai !…