Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/644

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PISTOL.

Oh ! monsieur Kean, c’est trop d’honneur.

KEAN.

Mon pauvre enfant… Eh bien ! comment va toute la troupe ?

PISTOL.

Elle boulotte.

KEAN.

Ketty-la-Blonde ?

PISTOL.

Elle vous aime encore, pauvre fille ! Dam ! ça n’est pas étonnant, vous êtes son premier, voyez-vous.

KEAN.

Le vieux Bob ?

PISTOL.

sonne toujours de la trompette comme un enragé… On a voulu l’engager cornemuse-major dans un régiment d’Écossais, grade de caporal, mais il n’a pas voulu… Ah ! ben oui !

KEAN.

Tes frères ?

PISTOL.

Les plus petits font les trois premières souplesses du corps ; les plus grands, le saut du Niagara ; les entre-deux dansent sur la corde.

KEAN.

Et la respectable Mme Bob ?

PISTOL.

Elle vient d’accoucher de son treizième ; la mère et l’enfant se portent bien, je vous remercie, monsieur Kean.

KEAN.

Et toi ?…

PISTOL.

Eh bien ! c’est moi qui vous remplace, j’ai hérité de votre habit et de votre batte… je joue les arlequins, mais je ne suis pas de votre force…

KEAN.

Et tu viens me demander des leçons, hein ?

PISTOL.

Oh non !… non !… il y a cependant la danse des œufs, vous savez, que vous devriez bien me montrer, je n’ai jamais pu l’apprendre tout à fait, j’en casse toujours deux ou trois… mais maintenant je les fais durcir… ça fait qu’ils ne sont pas perdus, je les mange… Mais ce n’est pas ça !… Quand mon père a vu que le bon Dieu lui avait fait la grâce de lui en envoyer encore un, et que celui-là faisait le treizième, il a dit : Tu portes un mauvais numéro, toi. Avec ça notez qu’il était venu au monde un vendredi… il faudrait lui choisir un crâne parrain… Lequel, a dit ma mère… le prince de Galles ou le roi d’Angleterre ?… Mieux que ça, M. Kean ! Oh ! fameux !… fameux !… tout le monde a répondu ; mais il ne voudra pas. Et moi je suis sûre qu’il voudra, a dit Ketty-la-Blonde. Oui, si tu vas le lui demander, a répondu mon père… Oh ! je n’oserai jamais, il est si loin de nous maintenant ! il est si grand ! il est si haut !… Eh bien ! donnez-moi une échelle, j’irai, moi, que j’ai dit, et me voilà. N’est-ce pas que vous ne me refuserez pas, monsieur Kean…

KEAN.

Non, par l’âme de Shakspeare ! qui a commencé par être un bateleur et un saltimbanque comme nous… je ne te refuserai pas, mon enfant… et nous ferons à ton frère un baptême royal… sois tranquille.

PISTOL.

C’est une sœur, mais ça ne fait rien. Et quand cela, monsieur Kean ?

KEAN.

Ce soir, si tu veux.

PISTOL.

Convenu… mais d’ici là aurez-vous le temps de trouver une commère ?

KEAN.

Elle est trouvée.

PISTOL.

Laquelle, sans être trop curieux ?

KEAN.

Ketty-la-Blonde… crois-tu qu’elle refuse ?

PISTOL.

Elle, refuser !… oh ! pauvre fille… oh ! oui, vous ne la connaissez pas ; il va falloir des précautions pour lui dire ça… elle pâmerait… Oh ! Ketty ! pauvre Ketty ! va-t-elle être contente !…

(Il fait une cabriole.)
SALOMON.

Eh bien ! que fais-tu donc ?

PISTOL.

Oh bien ! tant pis, père Salomon ! je sois comme les paons, moi : quand je suis content, je fais la roue. Adieu, monsieur Kean.

KEAN.

Et tu t’en vas déjà ?

PISTOL.

Et là-bas, les autres qui attendent et qui disent : Voudra-t-il ? ne voudra-t-il pas ? il veut ! il veut !

KEAN.

Salomon, reconduis ce garçon jusque chez lui… et mets dix guinées dans la main de sa mère pour la layette.

PISTOL.

N’allez pas vous dédire, monsieur Kean ! c’est qu’il y aurait des larmes de versées si un malheur comme celui-là arrivait.

KEAN.

Sois tranquille…